Pourquoi il faut encore sauver la gestion de l’offre

Preface du livre à venir coédité par La Vie agricole et VLB Éditions: 

On l’aura compris, ce livre n’est pas objectif. Il est résolument pro-gestion de l’offre, malgré ses défauts et ses lacunes.

Il faut la sauver encore et toujours parce que, malgré tous les propos rassurants émis dans la foulée du Partenariat transpacifique conclu en octobre dernier, elle demeure plus menacée que jamais par les importations hors de contrôle de produits laitiers  américains, Partenariat transpacifique ou pas.

Il faut la sauver parce que, à long terme, elle est bénéfique pour les consommateurs à qui elle garantit des aliments sains, sans hormone de croissance, et à des prix stables. Ils sont souvent plus chers qu’ailleurs, mais pas toujours et  pas tant que cela. 

Il faut la sauver parce qu’elle évite à ces mêmes consommateurs d’avoir à  payer des milliards en impôt lorsque surviennent les inévitables crises de surproduction comme c’est le cas présentement à la grandeur de la planète… sauf chez nous. Les prix à la ferme chutent, la qualité tombe mais, souvent, les consommateurs continuent à payer les mêmes prix parce que les intermédiaires empochent.

Il faut la sauver parce que, même s’ils la trouvent agaçante, les grands transformateurs québécois que sont Agropur et Saputo ont bâti des trésors de guerre et ont pu partir à la conquête du monde grâce à la sécurité d’approvisionnement et à la stabilité des prix, donc aux profits garantis, qu’elle leur procure depuis quarante ans.

Il faut la sauver parce qu’un des grands acquis de notre société est le droit des gens de s’organiser collectivement pour améliorer leur sort dans les limites de la loi et de l’intérêt public, droit qui est plus menacé que jamais par la mondialisation à tous crins et son inévitable nivellement vers le bas.

Il faut la sauver, enfin, parce que quelle société peut prendre le risque de voir des régions entières dépérir quand leur principal secteur économique, le plus stable et le plus solide, est brutalement déstabilisé.  Il est absolument certain que, sans la gestion de l’offre qui égalise les coûts de transport et assure une certaine péréquation des revenus, les plus gros avaleraient les plus petits. La ferme familiale traditionnelle telle que nous la connaissons avec ses soixante vaches serait condamnée.

Et au moment où les consommateurs sont de plus en plus préoccupés par la qualité des aliments qu’ils consomment, le confort des animaux qui les produisent et l’impact de l’agriculture sur l’environnement, qui veut d’une ferme de plus de mille vaches près de chez lui produisant du lait aux hormones de croissance avec des vaches bonnes à jeter après deux ans seulement et dont la rentabilité repose sur l’exploitation de travailleurs immigrants illégaux?

La Coopérative Agropur a évalué l’été dernier que  jusqu’à 5 500 fermes laitières et 24 000 emplois directs pourraient disparaître à l’échelle canadienne, advenant une fin brutale de la gestion de l’offre.

À la lumière des seules concessions faites dans le cadre du Partenariat transpacifique, ce scénario ne se réalisera pas et c’est tant mieux. Toutefois, quel sera l’effet cumulatif de l’ensemble des trous créés ou à venir dans la barrière tarifaire qui protège nos fermes laitières?  On ne parle pas de 2, 3  ou même 5% du marché canadien mais de quelque chose compris entre 15 et 20% en tenant compte des importations actuelles, qu’elles soient contrôlées ou non. 

Or, les fermes les plus petites donc les plus fragiles sont concentrées au Québec. On peut s’attendre à une hécatombe dans les beaux rangs laitiers du Québec, hécatombe que les compensations fédérales à venir ne freineront pas. On peut même supposer qu’elles les accéleront en incitant davantage de petits producteurs à se retirer. C’est tout un tissu social qui est menacé.

  Face à tout cela quelles régions laitières voudrons nous fermer : le Saguenay-Lac-Saint-Jean, le Bas Saint-Laurent, Chaudière-Appalaches ou toutes à la fois?

Ceux qui rejettent la gestion de l’offre du revers de la main en tant que vestige d’un passé protectionniste qui n’a plus sa place à l’ère de la mondialisation devraient considérer ces questions. La production laitière n’est pas une usine qu’on peut relocaliser, moderniser ou fermer sans conséquences graves sur l’occupation du territoire.

Nous croyons que l’ensemble des avantages de la gestion de l’offre et des risques liés à sa disparition compense largement les irritants d’un système qui n’a peut-être pas su évoluer suffisamment au fil du temps mais qui peut encore le faire.

Oui, la ferme laitière moyenne du Québec est moins efficace que la ferme géante américaine aux méthodes douteuses ou que les grands ranchs laitiers néo-zélandais où les vaches sont au pâturage à l’année.  Oui, la gestion de l’offre a un coût pour les consommateurs que des économistes évaluent à 350 $ par année pour une famille moyenne. Oui, elle n’est pas sans défaut et il est agaçant de voir des producteurs millionnaires refuser de lâcher du lest dans un système qui craque de partout. Mais il faut entrer dans l’équation  bien d’autres facteurs.

Quel sera le coût pour ces mêmes consommateurs d’une dépendance accrue aux importations de  produits aussi  essentiels que le lait, le poulet et les œufs, une fois que les filières québécoises auront été saccagées ou contrôlées encore plus qu’elles ne le sont présentement par des monopoles ou des intérêts étrangers? Quel sera le coût fiscal pour les contribuables des mesures compensatoires destinées à atténuer l’impact de l’affaiblissement d’un système aussi complexe que la gestion de l’offre ou encore le coût des inévitables sauvetages à répétition de ce qui restera de nos filières lors des futures crises de surproduction? Quel sera l’impact sur la santé et l’environnement de l’introduction d’un modèle de production à l’américaine avec des fermes de plus de mille vaches traitées avec des hormones de croissance interdites à nos producteurs? Quel sera enfin le coût humain pour des milliers de familles qui risquent de perdre leurs entreprises ou, à tout le moins, d’être obligées de  renoncer à un mode de vie auquel elles sont attachées depuis des générations?

Partout où on a déréglementé la production laitière, le même scénario s’est produit : la ferme moyenne est disparue avalée par des voisins plus gros, plus efficaces, plus dynamiques… et plus endettés. Le secteur de la transformation laitière s’est étiolé, mis à mal par des produits importés à meilleur prix. Le prix à la ferme a baisé mais les économies ainsi générées ont été accaparées par les intermédiaires et très peu refilées aux consommateurs. Comme pour le prix de l’essence.

Ce qu’il faut retenir c’est que les mois qui viennent seront déterminants pour la gestion de l’offre et elle ne part pas gagnante, loin de là.  La technologie qui permet de reconstituer des produits laitiers de masse, fromage, yogourt ou crème glacée, à partir de lait protéiné l’a rattrapée. Des trous béants sont ainsi apparus dans la barrière des tarifs douaniers qui la protège auxquels s’ajoutent les  concessions commerciales faites par le Canada à l’Europe et aux pays du Partenariat transpacifique.

Si ce scénario se concrétise, il est très possible qu’on assiste à un écroulement plus ou moins rapide de ce système. Il y aura alors une crise dans les campagnes québécoises où l’agriculture demeure un des principaux piliers de l’économie et le mode de vie chéri de milliers de famille.

On le voit, les enjeux sont aussi énormes que complexes.  Au moment où l’avenir de la gestion de l’offre est plus menacé que jamais, il est important de prendre la mesure des impacts qui s’en viennent.

Pour un débat national sur la gestion de l’offre

Nous tenterons dans ce petit livre de démystifier la gestion de l’offre et d’expliquer pourquoi il est essentiel de la conserver malgré tous ses défauts, quitte à la faire évoluer. 

Pour faire ce tour d’horizon, nous avons rencontrés de nombreux interlocuteurs politiques interpellés par ces questions, depuis l’ancien premier ministre Bernard Landry jusqu’au ministre actuel de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, Pierre Paradis. Lors de la dernière campagne électorale, les différents partis politiques fédéraux ont tous réitéré leur engagement en faveur de la gestion de l’offre et… du libre-échange. Nous nous sommes même demandés, rétrospectivement, ce qu’aurait fait en pareilles circonstances l’ancien ministre de l’Agriculture, M. Jean Garon, grand défenseur s’il en fut un de la ferme familiale et de l’autosuffisance alimentaire du Québec.

Nous avons interrogé des  observateurs de la société québécoise, notamment  le politicologue et chroniqueur Mathieu Bock-Côté, sur les conséquences de l’affaiblissement graduel des frontières et sur le mouvement de ressac que produisent un peu partout les ratés de la mondialisation. Feu de paille ou signe avant-coureur d’un changement de paradigme?

Plusieurs économistes nous ont aidés à fouiller dans les entrailles de cette bête qu’est la gestion de l’offre pour en découvrir autant les forces que les faiblesses, notamment les professeurs Daniel-Mercier Gouin, Maurice Doyon et Sylvain Charlebois.  Imminence d’une crise fatale, signes d’une maladie dégénérative irréversible ou rémission probable? Les pronostics varient.

Nous sommes allés bien sûr à la rencontre de ceux qui sont sur la ligne de front, les producteurs d’abord, gros ou petits, mais aussi des fromagers, des fournisseurs de services à l’agriculture et des banquiers, tous plus inquiets les uns que les autres. Trois leaders agricoles, Bruno Letendre,  président des Producteurs de lait du Québec, Adrien Breault, vice-président des Entrepreneurs en agriculture du Québec, et Benoît Girouard, président de l’Union paysanne, nous ont fait partager leur vison de l’avenir agricole du Québec, vision où la gestion de l’offre a toujours sa place mais pas nécessairement la même gestion de l’offre.

Les producteurs de la base eux sont inquiets, très inquiets et les rumeurs fusent : les douanes canadiennes auraient perdu le contrôle et on aurait vu des camions transporter du lait entier de contrebande. En même temps, des usines de transformation alimentaire seraient menacées de fermeture par manque de beurre. Allez y comprendre quelque chose!

Une constatation émerge de ce rapide et forcément incomplet tour d’horizon : autant la gestion de l’offre ne doit pas disparaître, autant  elle doit changer.

Il faut souhaiter que cette crise débouche sur un grand dialogue sur l’agriculture que nous voulons au Québec, une agriculture calquée sur le modèle de l’agro-bussiness à l’américaine, une agriculture qui demeurerait régionale et familiale ou une agriculture qui se situerait quelque part entre les deux.

Ce dialogue doit déborder la classe agricole car, qu’on le veuille ou non, nous sommes tous concernés. En tant que consommateur et que contribuable bien sûr, mais aussi en tant que citoyen car c’est toute notre collectivité qui s’affaiblira si sa composante rurale s’affaiblit comme cela est douloureusement probable dans la foulée du Partenariat transpacifique et des failles qui se multiplient dans nos barrières tarifaires.

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