La face cachée du lait

Les choses se corsent dans le domaine laitier au Canada. D’abord, l’entente avec l’Europe vient d’être ratifiée, créant ainsi une brèche dans le système de la gestion de l’offre, notre système sacré de quotas et de barrières tarifaires excessives. Cela touche plus de 2 % de la production annuelle de lait tandis que plusieurs importateurs seront en mesure d’offrir de très bons produits européens au rabais ; des fromages fins, du mascarpone, et encore. Bref, l’entente avec l’Europe mettra à l’épreuve la loyauté des Canadiens pour les produits de chez nous. Il sera intéressant de voir si les consommateurs qui répondent aux sondages honoreront leurs intentions. Peu importe, l’arrivage de nouveaux produits mettra en lumière les grandes faiblesses de notre système actuel. 

Mis sur pied il y a plus de 50 ans, le système de la gestion de l’offre permet au Canada d’imposer des tarifs de plus de 300 % dans certains cas sur des produits laitiers. Avec une économie archi-protégée, les producteurs doivent détenir des quotas de production qui valent aujourd’hui en moyenne plus de 2 millions de dollars par ferme. D’un côté les Canadiens paient très cher leurs produits laitiers, de l’autre les actifs d’une ferme laitière moyenne au Canada dépassent les millions de dollars. Tout cela pour sauver la ferme familiale. En 1970, le Canada comptait près de 40 000 fermes laitières. Aujourd’hui, le pays en dénombre environ 11 000. Un échec total. Ceux qui restent clament haut et fort que cette méthode fonctionne. Ce qu’ils ne disent pas, c’est que le système fonctionne surtout pour eux.

Avec l’invasion européenne de produits laitiers à nos portes, les fromagers et producteurs crient au loup en dénonçant les subventions européennes qui permettent à leurs fromagers d’offrir des produits à moindre prix. Ces derniers vantent bien évidemment la gestion de l’offre, une méthode dépourvue de subventions. Peut-être, mais ce que les protagonistes du régime ne disent jamais c’est que les subventions versées en Europe sont liées à des indicateurs de performance bien précis. Autrement dit, pendant que la filière laitière jouit d’un support public, elle est en même temps responsabilisée par des programmes d’indemnisation qui misent sur la transparence.

Tout un contraste avec nous. Au Canada, peu de citoyens sont en mesure de bien saisir le sens de la gestion de l’offre. C’est une structure obscure que peu de personnes comprennent, incluant certains producteurs eux-mêmes. Ce n’est ni plus ni moins qu’un système qui divise les riches des pauvres, créant ainsi une hiérarchie de classes socioéconomiques au sein de l’agriculture canadienne. D’un côté, il y a le lait, le poulet, les œufs, les mieux nantis, et de l’autre ceux qui tentent d’innover et de développer de nouveaux marchés. La motivation pour innover n’y est pas pour ceux qui profitent de la gestion de l’offre, puisque le mécanisme mise sur la production primaire seulement, une vision limitative pour nos temps modernes. En place uniquement pour protéger les producteurs, tandis que les intérêts des transformateurs, des distributeurs et surtout des consommateurs sont remis au second rang.

Pour compliquer les choses, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) fait peau neuve avec l’arrivée de la nouvelle administration américaine. Bien sûr, les laitiers américains qui ont apprécié les achats canadiens de lait diafiltré, en veulent plus. Puisque le prix du lait à la ferme est l’un des plus élevés au monde, plusieurs transformateurs achètent du lait diafiltré des États-Unis sans être assujettis aux tarifs douaniers. Le lait diafiltré est un ingrédient permettant la fabrication de fromage et de yogourt à moindre prix.

En réalisant à quel point le lait diafiltré américain était rendu populaire, les producteurs laitiers de la province ontarienne ont créé une catégorie de lait industriel, incitant les transformateurs à acheter un produit canadien. Cette stratégie fonctionne, mais pour le reste du Canada, les producteurs ne s’entendent toujours pas sur certaines conditions. Les producteurs laitiers américains, quant à eux, demandent à leur administration d’imposer des restrictions et pointent du doigt le système de la gestion de l’offre.

Quoi qu’il en soit, bien que l’abolition du système de la gestion de l’offre serait une erreur, une réforme s’impose. La formule du prix à la Commission canadienne du lait, l’agence responsable de fixer les prix à la ferme, doit réviser ses méthodes. De plus, le système de quotas doit miser sur l’exportation autant que sur le marché domestique. Et finalement, afin de favoriser l’efficacité et la compétitivité de la filière, un programme d’indemnisation adéquat pour nos producteurs laitiers serait nécessaire. Mais comme en Europe, nous devons nous assurer que la filière fait preuve de responsabilisation et de transparence.

 

 

 

 

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