
Suivant l’acquisition d’une terre agricole, il n’est pas rare qu’un nouveau propriétaire constate qu’un voisin empiète sur celle-ci.
Or, à première vue, bien qu’il semble possible de remédier aisément à cette situation en avisant ce voisin de son empiétement, il est possible que la tâche s’avère plus ardue que prévu. En effet, il est possible que votre voisin prétende être désormais devenu propriétaire de cette parcelle de terre par le simple écoulement du temps. Étonnamment, cette situation est possible alors même qu’aucun titre n’ait été publié au Registre foncier du Québec ou encore qu’aucun jugement n’ait été rendu à l’égard de cette parcelle de terre.
En effet, la prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un droit de propriété sur une parcelle de terrain par l’effet de la possession sur une période ininterrompue de dix ans, et ce, sans détenir un titre de propriété sur cette parcelle et au détriment du véritable propriétaire.
Ainsi, votre voisin pourrait prétendre être devenu propriétaire d’une parcelle de votre terrain par l’effet de la prescription acquisitive dans la mesure où celui-ci a agi pendant une période continue d’au moins dix ans comme s’il en était le véritable propriétaire, c’est-à-dire en ayant une possession dite «?paisible, continue, publique et non équivoque?». Pour ainsi dire, la possession doit avoir été obtenue sans violence (paisible) ni interruption (continue), au vu et au su de tous (publique) et de façon certaine et exclusive (non équivoque).
Encore plus étonnant, dans l’éventualité même où votre voisin savait qu’il empiétait sur votre terre, cet état de fait ne saurait faire échec à la prescription acquisitive. En effet, en matière de prescription acquisitive immobilière, la mauvaise foi ne constitue pas un obstacle à la prescription et la notion de possession paisible ne doit pas être analysée sous l’angle de la connaissance par le possesseur du fait qu’il soit propriétaire ou non de la parcelle de terrain sur laquelle il empiète.
De plus, jusqu’à tout récemment, pour bénéficier de la prescription acquisitive et devenir officiellement propriétaire d’une parcelle de terrain, il était habituellement nécessaire de faire une demande en justice afin d’obtenir un jugement reconnaissant et confirmant l’acquisition du droit de propriété par prescription acquisitive. Or, en 2017, la Cour suprême du Canada a établi qu’un droit de propriété acquis par les effets de la prescription acquisitive n’avait pas à être publié au Registre foncier du Québec ou avoir fait l’objet d’un jugement pour être opposable aux tiers.
En fait, c’est donc dire que l’empiétement de votre voisin sur votre terre nouvellement acquise aurait préséance sur le droit de propriété dont vous vous croyiez désormais titulaire, dans la mesure évidemment où cet empiétement bénéficie de la prescription acquisitive, et ce, même en l’absence de tout écrit et en dépit des vérifications d’usage que vous ou votre conseiller juridique auriez pu avoir effectuées préalablement à l’achat.
En conséquence, au moment de l’acquisition d’un nouveau terrain, nous vous recommandons de vous assurer d’effectuer des vérifications approfondies relativement à l’existence de toute cause d’empiétement sur la propriété dont vous souhaitez vous porter acquéreur.
Maxime Lauzière