L’urgence et la difficulté d’agir en agriculture

Bien des choses doivent changer en agriculture au Québec et nous croyons que le ministre Lamontagne en est parfaitement conscient. D’où sa décision de lancer une vaste consultation nationale sur le territoire et les activités agricoles. La question que nous nous posons est celle du rythme auquel ces changements doivent ou peuvent survenir.

En choisissant de commencer par une discussion sur ce qui est le plus fondamental, la base de tout, le territoire agricole, son état, ce que nous faisons des terres, ceux qui les possèdent et le prix qu’elles coûtent, le ministre a fait un choix logique. Mais ce choix s’inscrit dans le temps long. Avons-nous vraiment ce temps?

La réponse est non.  En 2008, la Commission Pronovost[1] a proposé un plan de route pour ces changements, avec un horizon de quinze ans pour les réaliser. Nous venons de franchir ce cap et très peu a été fait. Or, le temps presse:

  • Les cibles de réchauffement à ne pas dépasser d’ici l’an 2100 sont en voie d’être atteintes avant que les enfants nés cette année ne soient devenus des ados. Combien d’autres saisons de récolte catastrophique comme celle que nous venons de vivre pourrons-nous encore supporter avant que notre système agricole ne craque?
  • Les chaînes d’approvisionnement mondialisées sur lesquelles nous basons nos stratégies agroéconomiques et notre sécurité alimentaire vacillent sérieusement.
  • Les bouleversements géopolitiques sur la planète sont tels que personne ne peut prévoir ce que sera l’état du monde l’an prochain.

La triste réalité est que les quinze années perdues depuis la publication du rapport Pronovost seront très difficiles à rattraper. Les changements préconisés auraient pu se faire graduellement, dans le respect des agriculteurs, de leurs investissements, de leur travail et de leurs craintes légitimes. La présente révolte des agriculteurs européens illustre à quel point l’urgence d’agir se heurte à la résistance normale, humaine, d’un mode de vie bousculé, fragilisé, en détresse.

Est-ce à dire qu’il n’y a rien à faire? Certainement pas. Pour affronter les défis mentionnés ci-dessus autrement que dans une posture de réaction après coup, il faut bien sûr accélérer le rythme des adaptations déjà amorcées et mener plusieurs chantiers majeurs de front.  Mais il faudra plus encore!

  • Il faudra d’abord une vision claire de là où nous voulons aller, qui tienne compte de l’urgence de la situation. Pour cela, il n’est pas nécessaire de réinventer la roue. La déclaration de la COP 28 sur l’agriculture indique déjà pour l‘essentiel la voie à suivre: primauté de la ferme familiale, diversification des modèles d’agriculture, soutien financier de la ferme comme entité plutôt que de certaines productions ciblées, virage agroécologique accéléré et accent sur l’autosuffisance.
  • Il faudra que le MAPAQ reprenne le leadership et soit doté des fonds requis pour guider et soutenir adéquatement les agriculteurs dans cette refondation de notre agriculture.
  • Il faudra aussi faire preuve d’un indéfectible courage politique sans lequel la mise en œuvre de ce qui précède ne pourra pas se réaliser.

Mais il faudra surtout un colossal effort de communication pour rapprocher ces deux solitudes que sont l’opinion publique, de plus en plus verte et exigeante en aliments de qualité « pas chers », d’une part, et les producteurs agricoles englués dans les dettes et la productivité à tout prix, d’autre part. Cela est possible, cela s’est même déjà fait, notamment quand le ministre Jean Garon, avec le concours du premier ministre René Lévesque, a réussi, à « vendre » la Loi sur la protection du territoire agricole à la population québécoise il y a déjà quarante-cinq ans.

Le monde étant beaucoup plus complexe et polarisé qu’à cette époque, un leader, aussi doué soit-il, ne pourra jamais y arriver seul. La crise aidant, car crise il y aura, est-ce rêver en couleur que de souhaiter une mobilisation nationale menant à un grand compromis entre urgence environnementale et respect de la réalité agricole, au nom d’une priorité qui l’emporte sur bien d’autres, soit notre sécurité alimentaire et celle des générations à venir.

[1] Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois présidée par Jean Pronovost

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