
« Un système qui garantit la richesse des uns par le silence de tous les autres, finit toujours par coûter trop cher à la société. C’est exactement cela, la gestion de l’offre. »
Depuis quelques semaines, l’Union des producteurs agricoles (UPA), avec l’appui inconditionnel du Bloc Québécois, mène une campagne de communication soutenue visant à vanter les mérites de la gestion de l’offre. Ce système serait, selon ses défenseurs, le meilleur modèle pour assurer la souveraineté alimentaire du pays. Or, au-delà des slogans convenus, les données rigoureuses permettant d’évaluer objectivement ses effets sur les coûts de production, les marges bénéficiaires, et les conséquences économiques pour les consommateurs et les transformateurs sont rarement mises de l’avant.
La gestion de l’offre, dans sa forme actuelle, repose sur une logique de rareté administrée et constitue un équilibre précaire, comparable à un château de cartes. Présentée comme un vecteur de stabilité pour les producteurs laitiers, elle masque en réalité une série de mécanismes opaques méconnus du grand public, et de manière inquiétante, également mal compris de plusieurs de nos élus.
Lors de la signature d’accords commerciaux majeurs (ACEUM, CETA, PTPGP), le gouvernement fédéral accorde des concessions tarifaires à ses partenaires. Pourtant, les producteurs laitiers ne subissent aucune perte financière nette. Pourquoi?? Parce qu’ils sont systématiquement compensés à même les fonds publics, parfois à hauteur de plusieurs milliards de dollars, même lorsque les quotas d’importation octroyés ne sont pas utilisés pleinement.
Par ailleurs, les producteurs reçoivent gratuitement des quotas de production, qui constituent aujourd’hui des actifs hautement valorisés, se négociant entre 24?500 $ et 55?000 $ l’unité. En moyenne, la valeur des quotas par ferme laitière dépasse maintenant les deux millions de dollars. Plus un producteur reçoit de quotas, plus sa capacité d’accumulation de richesse s’accroît, que ce soit par l’expansion de sa production ou par la revente de ces quotas sur un marché secondaire autorégulé. Certains réalisent ainsi des gains substantiels sans avoir eu à investir initialement dans ces droits de production. Pendant ce temps, les offices de mise en marché gardent le silence.
Le système accorde également des « journées incitatives », permettant de produire au-delà des quotas sans pénalité. Ces journées génèrent des revenus supplémentaires dans un modèle déjà structuré pour assurer la rentabilité. Lorsque l’offre dépasse la demande, le lait excédentaire se voit simplement éliminé. Le gaspillage, dans ce contexte, ne constitue pas un échec du système, mais une de ses variables d’ajustement.
Cette réalité a un coût. Les transformateurs, les artisans fromagers et les restaurateurs doivent composer avec l’un des prix du lait industriel les plus élevés au monde. Cela freine l’innovation, compromet la compétitivité et mine l’agilité de l’industrie agroalimentaire canadienne. De nombreux pays ayant adopté autrefois des modèles similaires, notamment l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, la Corée du Sud ou plusieurs États membres de l’Union européenne, ont depuis démantelé ces régimes pour des raisons d’efficacité économique et de transparence.
Au Canada, le statu quo profite à un système fermé, protégé et peu redevable. La controverse du « Buttergate », où l’on apprenait que des sous-produits de l’huile de palme se retrouvaient dans la nourriture donnée aux vaches laitières, ainsi que les images de lait jeté annuellement ne représentent que des manifestations visibles de problèmes structurels profonds. Ce système décourage l’efficience et entretient une opacité qui mine la confiance du public.
Il ne s’agit pas ici de remettre en question le rôle vital des producteurs dans la chaîne alimentaire nationale. Mais pour continuer à obtenir l’appui de la population, ils doivent s’inscrire dans un dialogue fondé sur des données, la transparence et une volonté réelle de moderniser le système. L’ère des appuis automatiques, sans remise en question, de la part des élus et des médias, doit céder la place à une évaluation lucide et rigoureuse.
Il est temps que les Canadiens aient accès à une information complète, fondée sur des faits, concernant la gestion de l’offre. Et que nos décideurs, peu importe leur allégeance politique, prennent enfin conscience des distorsions économiques, commerciales et sociales générées par ce modèle devenu intouchable.