L’homme idéal est-il un nomade fier d’être sans patrie?

Notre monde fait de la mobilité un idéal. Tout devrait toujours être en mouvement. L’individu devrait pouvoir traverser toutes les frontières sans être bloqué par aucune. Il devrait pouvoir s’installer où il veut, quand il veut, pour le temps qu’il veut, et à ses conditions, sans jamais avoir à s’adapter en profondeur à la communauté où il s’installe. En gros, l’homme idéal de notre temps est un nomade qui ne cultive d’aucune manière les vertus du patriote ou du citoyen.

Il n’a pas droit à un pays, il n’a pas droit à un chez-soi. Il n’a pas le droit de se vouloir de quelque part. Le désir d’enracinement est considéré par les élites économiques et intellectuelles comme une aspiration régressive, qui irait à l’encontre du sens de l’histoire. Il faut donc fabriquer cet homme absolument flexible, qui ira où le marché le conduit, et qui saura parfaitement s’adapter aux exigences de la mondialisation. On pourrait le nommer ainsi: l’homme adaptable. Il ne résiste à rien, il ne lutte pas, sinon pour sa survie.

On l’a même convaincu qu’on lui offrait ainsi les conditions de son bonheur. Il se révolte ainsi contre toutes les traditions, les coutumes et les identités. Il proteste contre la souveraineté nationale. Il veut se délivrer de toutes les autorités qui semblent verticales. Il ne se rend pas compte qu’il se livre ici à la manière d’un petit animal dénudé à la tyrannie publicitaire qui vise à le transformer en consommateur apatride. Il est fier d’être traité comme une ressource humaine qui n’est rien d’autre en fait qu’un humain jetable.

Pourquoi cette longue introduction à mi-chemin de la philosophie et de la sociologie? Parce qu’il faut toujours avoir en tête cet arrière-fond quand on pense à un débat comme celui de la gestion de l’offre, qui secoue le milieu de l’agriculture. Qu’est-ce que le Québec? Un pays de quatre siècles d’histoire, avec des régions, des paysages physiques et mentaux et une agriculture qui à sa manière, est à l’origine du goût du pays? Ou un espace arbitrairement dessiné sur une carte, seulement peuplé d’individus blindés dans leurs droits, qui n’aurait pas mieux à faire que se dissoudre dans le vaste monde au nom d’un processus qu’on nomme mondialisation?

Selon la réponse qu’on donne à cette question variera considérablement notre vision politique. Dans le premier cas, on se montrera favorable, ou du moins, compréhensif devant une politique comme la gestion de l’offre, qui vise à conserver une agriculture québécoise. Dans le second cas, on n’y verra qu’une absurdité au service d’un lobby particulier qu’il faudrait abattre le plus complètement possible. C’est ce que nous disent ceux qui font du libre-échange une religion. Ils ne se contentent pas d’y voir un instrument pour favoriser la prospérité. Ils y voient une étape dans la longue marche pour unifier l’humanité en une seule société.

On retiendra une chose de ces réflexions: la politique n’est jamais aussi prosaïque qu’on ne le pense. Ceux qui se contentent de tout regarder à partir du plancher des vaches se condamnent à ne rien comprendre au monde dans lequel ils vivent. 

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