Despotisme sans frontières

NDLR: En cette période d'après G7 au Québec, La Vie agricole vous offre une analyse de l'auteur Simon-Pierre Savard-Tremblay de la situation mondiale par la publication d'extraits de son dernier livre: Despotisme sans frontières

Crise politique mondiale

Les systèmes politiques occidentaux sont en crise, et la contestation de la mondialisation a clairement dépassé le seul terrain de la rue. Loin d’être confinée à un mouvement marginal de manifestants chahutant les grands sommets, comme elle pouvait l’être au début du millénaire, elle s’incarne aujourd’hui comme un courant politique aux visées électorales. Le discours officiel, qui chante les louanges d’un libre-échange qui amènerait la paix et la prospérité à tous, est ébranlé dans ses certitudes. Les fissures se multiplient depuis quelques années.

Le pouvoir abusif des grandes entreprises

Une entreprise est considérée comme transnatio­nale lorsqu’elle a au moins un site à l’étranger, c’est-à-dire dans un autre pays que celui de son siège social, et ce, peu importe son créneau. […] Riche et puissante, la corporation tend alors à devenir une entité souve­raine, dont l’expansion passe nécessairement par son émancipation d’une autre souveraineté, celle du poli­tique. Si on se fie aux données rendues publiques en 2016 par la revue Fortune dans son index Global 500, l’envergure des plus grosses entreprises au monde est impressionnante. […] Ces entités ont un poids financier plus grand que nombre de gouverne­ments et ont plus de salariés que bien des fonctions publiques nationales.

Le débat interdit

Pierre-Marc Johnson a élégamment comparé les adversaires du libre-échange aux climatosceptiques et aux défenseurs de la cigarette. […]

Tout se passe comme si les décideurs avaient convenu depuis des décennies de construire un régime qui confisque la démocratie et les débats qui l’accompagnent au nom de la raison économique.

Le libre-échange : pas si libre que ça

Bien loin d’alléger les charges réglementaires, comme c’est ce qui est prétendu, ces traités versent plutôt dans la surenchère réglementaire. Ils sont généralement extrêmement volumineux : des milliers de pages. […] Ils visent une transfor­mation en profondeur de la vie interne des États, pour tendre vers une uniformisation de leurs lois.

Ces accords apparaissent alors que les droits de douane sont déjà quasi inexistants entre bon nombre de régions du monde. Il ne s’agit donc plus seulement,  à proprement parler, de commerce entre les pays, mais d’une entreprise visant à transformer les pays en pro­fondeur pour qu’ils deviennent de grands supermar­chés. […]

Les instances supranationales sont très fertiles en postulats et en recettes à appliquer. Elles se sont aussi dotées d’un certain nombre d’instruments discipli­naires pour les imposer. Le Fonds monétaire interna­tional (FMI), par exemple, module son aide financière aux pays pauvres en fonction de leur niveau de sou­mission aux normes de la mondialisation. Le cadre du libre-échange, dans tout cela, a la fonction vitale de fournir le volet réglementaire en mettant en place un appareil de contraintes.

Sur la gestion de l’offre

L’inénarrable Maxime Bernier parlait ainsi de « libérer le lait de poule », en réfé­rence aux œufs, au lait et à la crème, tous encadrés par ce système, qui composent ce breuvage du temps des fêtes. Au-delà du discours démagogique, il faut avant tout y voir une victoire de l’imaginaire du court terme. Peu importe que l’agriculture soit un domaine complexe qui n’est pas à traiter à la légère (on parle tout de même de l’alimentation des gens), que le système de la gestion de l’offre ait empêché bien des crises de surproduction en plus de protéger nos producteurs, et que son aboli­tion mènerait au monopole de transnationales qui fini­raient, elles aussi, par hausser les prix des produits lai­tiers. Il faut aussi noter que le lait québécois est d’une grande qualité comparativement à celui produit par des vaches dopées aux hormones de croissance et traitées comme des machines à produire.

L’obsession pour la monoculture

Il s’agit de la culture d’une seule production, qui peut aussi être animale, au détriment de la diversité et des écosystèmes, reposant sur l’idée qu’une surspécialisation dans un domaine précis débouchera rapidement sur des gains de pro­ductivité. C’est incontestable, mais cela relève encore une fois d’une logique à court terme, car la monocul­ture épuise les sols, qu’il faut alors nourrir, notamment chimiquement. En plus des problèmes liés à l’emploi abusif de pesticides, le manque de diversité des plantes à butiner nuit aux abeilles dont la disparition menace toute la production agricole. Joli cercle vicieux. Le géant Monsanto, récemment racheté par le titan Bayer, a poussé le cynisme encore plus loin en utilisant la pro­priété intellectuelle pour protéger ses ventes.

[…]

Dans l’agroalimentaire, la recherche du profit maximal par une production sans variété et massivement exportatrice peut certes rapporter, mais elle peut aussi ruiner la filière d’un seul coup. Si les cours du riz, du café ou du porc s’ef­fondrent, vous faites quoi ? Les vrais gagnants de la spé­culation agricole sont les grandes entreprises du secteur et leurs actionnaires, qui prennent des décisions depuis des grands centres, éloignés des réalités de la ferme.

Le pouvoir de l’investisseur contre celui de la démocratie

Le chapitre XI de l’Accord de libre-échange nord-américain, signé par les États-Unis, le Canada et le Mexique en 1994, visait à protéger les investisseurs étrangers de l’intervention de l’État. […] Est-ce la voie ouverte au démantèlement des politiques nationales ? Chose certaine, il devient de plus en plus ardu pour un État de légiférer sur des questions liées, par exemple, à la justice sociale, à l’environnement, aux conditions de travail ou à la santé publique ; si telle ou telle société transnationale se croit lésée, elle a un recours. […] Les transnationales n’ont pas toujours gagné ces poursuites, fort heureusement, mais celles-ci se multiplient. […] Selon un rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement datant de 2013, les États ont gagné ces poursuites dans 42 % des cas, contre 31 % pour les entreprises. Les autres différends ont fait l’objet d’un règlement à l’amiable entre les parties. Les poursuivants ont ainsi pu faire contrer la volonté politique des États, en totalité ou partiellement, dans 58 % des cas.

Ces chiffres négligent cependant un facteur important, celui de la pression que les clauses de protection des investisseurs font peser sur les États, qui renoncent d’emblée à certaines politiques par crainte de se retrouver devant les tribunaux.

Que seuls les plus forts s’en sortent

Au Québec, alors que le gouvernement Couillard multipliait les coupures dans les structures de développement régional, le Conseil du patronat suggérait tout bonnement de fermer les régions pauvres en invitant « le gouvernement à réallouer une partie des budgets actuellement consacrés au maintien des municipalités dévitalisées vers des mesures facilitant la relocalisation des ménages qui y habitent. » Avec une grande pédagogie, on ajoutait qu’un nouvel exode rural devrait être vu « comme quelque chose de normal, pas contre un mal contre lequel il faut nécessairement lutter à tout prix . »

La concurrence mondialisée incite à la polarisation des ensembles économiques intégrés, les centres « dynamiques » étant jugés dignes de se développer et de bénéficier de rayonnement, tandis que les territoires délaissés devant le rester.

La crise de la croissance illimitée

Année après année, les pays luttent pour voir leur PIB croître et sont déçus non pas quand il ne croît pas, mais quand il ne croît pas assez à leurs yeux. Ce n’est pourtant pas un indicateur neutre. La croissance n’est évidemment mesurée que numériquement, et en fonction de critères marchands. […] Une belle fiction statistique, en somme. Autre exemple : on évalue à 40 millions de tonnes par année l’augmentation des déchets électroniques, parfois très toxiques, que notre ère de l’électronique périssable produit. Le libre-échange favorise leur envoi dans des pays pauvres, où la protection est inexistante tant pour les nappes phréatiques que pour les travailleurs qui devront manipuler les résidus. Le PIB de ces pays étrangers sera en hausse, on ne peut le nier. Peut-on pour autant parler d’une amélioration ?

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