Le grand paradoxe

Ce n’est pas parce qu’une catastrophe semble s’annoncer que ceux qui pourront l’empêcher font ce qu’il faut pour qu’elle n’advienne pas. Le mur est devant nous, on sent bien qu’on s’y écrasera, mais on roule de plus belle, et toujours plus vite, comme s’il y avait une excitation particulière à aller à sa rencontre. Qui sait, peut-être pourrons nous le défoncer sans qu’il ne nous fracasse? C’est cette image qui s’impose à moi quand je pense à ce que devient la mondialisation. 

D’un côté, les élites croient comme jamais à la nécessaire intégration des pays dans le grand tout mondialisé. Chacune travaille à adapter sa nation aux exigences de la mondialisation en croyant par-là la moderniser. Il n’y aurait pas d’autre possibilité, aujourd’hui, que de pousser toujours plus loin le libre-échange, en s’imposant à soi-même des contraintes économiques et techniques de plus en plus nombreuses, comme si on si pliait là à une forme de rationalité supérieure, garante d’une prospérité maximale. C’est ce qu’a notamment démontré Simon-Pierre Savard-Tremblay dans son très bon ouvrage L’État succursale, paru il y a quelques semaines chez VLB. On l’a vu encore récemment avec les nouveaux accords de libre-échange. Il y a une frénésie de la mondialisation chez nos élites, et elles ne semblent tout simplement pas comprendre qu’une humanité standardisée ne représente pas pour grand monde un avenir radieux.

De l’autre côté, les peuples ressentent cette mondialisation comme une forme d’agression sur leur mode de vie. Ils sentent bien qu’ils pourraient s’y dissoudre, s’y perdre. Leur originalité pourrait s’effacer. Les phénomènes qui constituent la mondialisation sont nombreux. On peut penser à l’américanisation culturelle, ou du moins, à la diffusion d’une culture globale qui uniformise les saveurs et les odeurs, en imposant partout les mêmes marchandises et les mêmes produits, qui colonisent nos vies et les affadissent. On peut penser aussi à l’immigration massive, qui déracine les peuples et les dépossède. On peut penser enfin à la perte de souveraineté des États, étouffés à la fois par le droit international et par le capitalisme global. La démocratie souffre de la mondialisation. Alors les peuples tâtonnent et sont tentés par ce qu’on appelle un peu méchamment le populisme, comme s’ils voulaient au moins témoigner de leur dissidence devant l’époque.

La question de l’agriculture offre une perspective intéressante pour penser la crise de la mondialisation. Elle nous connecte aux racines les plus profondes d’un pays. Elle nous donne son goût particulier, pour peu qu’on cherche à garder vivante la tradition à travers laquelle l’expérience du monde se transmet d’une génération à l’autre. C’est pourquoi il faut prendre les moyens nécessaires pour conserver une agriculture québécoise. L’agriculture nous rappelle une chose simple: les paysages des pays qui font notre monde ne sont pas interchangeables. L’homme a beau se croire tout puissant, il ne peut pas soumettre la nature à sa pure volonté. Il vient toujours de quelque part, et pour peu qu’il ne soit pas complètement robotisé, il tiendra à sa patrie et voudra la défendre dans sa singularité. L’homme qui se croit autorisé à dédaigner sa patrie n’est pas un cosmopolite de génie: c’est un barbare.

Crédit Photo; Radio-Canada

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