Les choses devaient se passer ainsi : consultés sur leur appartenance à l’Union européenne, les Britanniques devaient voter clairement Remain et en finir ainsi avec la tentation eurosceptique qui travaille la politique britannique depuis plusieurs années. On aurait alors chanté la sagesse populaire et le bon sens de ceux qui savent que le progrès est assimilable à la dissolution progressive des souverainetés et des identités nationales. La décision aurait été jugée historique, et on aurait peut-être même eu une parole de tendresse pour les vaincus du Remain, en disant qu’ils avaient mené une bataille honorable, mais qu’il fallait tourner la page et accepter tout simplement les règles de la nouvelle époque, qui seraient celles de la gouvernance globale et de l’immigration massive. Oui, tout était écrit à l’avance.
Mais les choses ne se sont pas passées comme elles le devraient. Consulté sur son avenir, le peuple britannique a décidé de prendre au sérieux la restauration de sa souveraineté. Les élites de la politique internationale ont beau avoir multiplié les consignes de vote et les grands capitalistes répétés que le Brexit serait une catastrophe, les Britanniques ont décidé de faire à leur tête. Ils ont pris ce vote à cœur et y ont vu l’occasion de reprendre leur destin en main. En gros, ils ont voté Leave. À la stupéfaction générale, faut-il le dire. On ne sous-estimera pas l’ampleur du résultat : le vote en faveur du Brexit est probablement l’événement politique le plus important depuis la chute du mur de Berlin. C’est la logique de la mondialisation postnationale qui prend un coup.
Alors nous avons assisté à un déferlement de haine absolument époustouflant. Adieu la sagesse populaire et le grand exercice démocratique: le référendum, en fait, aurait permis aux ploucs et aux idiots de s’insurger contre le parti du progrès. C’est la victoire des minus contre les génies. En un mot, ce référendum aurait permis à des gens qui n’en avaient pas les moyens le droit le pouvoir de dévier le cours de l’histoire européenne et peut-être même, du monde. Conclusion : il faudrait trouver le moyen de l’annuler. Les uns demanderont qu’on tienne un nouveau référendum très rapidement pour neutraliser les résultats du premier. Les autres exigeront des parlementaires qu’ils fassent barrage à la volonté du peuple. En un mot, si le peuple ne vote pas bien, on décidera de se passer de son avis.
Il faut pourtant comprendre le sens de l’événement. C’est l’idéologie dominante de notre temps qui se lézarde, même si le système médiatique veut nous interdire d’en tirer les conséquences. Le système européen est dans une impasse totale. En déconstruisant la souveraineté des nations, il a condamné les nations à la dépossession et à l’impuissance. Et partout en Europe s’exprime de plus en plus vivement un désir d’enracinement. Le discours sur le citoyen du monde hors-sol, n’en finissant plus de métisser son identité de mille manières, est peut-être en train de se décomposer devant nous. Ou du moins, il vient de rencontrer un véritable obstacle, et à moins d’abolir clairement et simplement la démocratie, on ne pourra pas faire comme si rien ne s’était passé.