Tandis qu'au Canada et au Québec, grâce à la saga José Bové, l'opposition à l'Accord de libre-échange Canada-Union européenne (AÉCG) s'est fait entendre entre autres pour dénoncer la justice parallèle qu'instituent ces accords pour le bénéfice des transnationales, le jugement de la poursuite de la minière canada-australienne OceanaGold contre le Salvador vient d'être rendu public. Le Salvador a gagné mais est loin d'en sortir indemne, que ce soit au plan financier qu'au niveau des impacts sociaux et environnementaux des agissements de la compagnie minière.
Pierre-Yves Sérinet, RQIC ( Réseau Québécois sur l’Intégration Continentale)
L’arbitrage entre investisseur et État fait chanter El Salvador et pervertit la démocratie
Des groupes de la société civile du monde entier appuyant les communautés et les organisations salvadoriennes qui interviennent sur les enjeux miniers et environnementaux ont réagi à la décision rendue ces jours-ci par le centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI).
En 2009, Pac Rim Cayman LLC a engagé une procédure d’arbitrage contre El Salvador en ayant recours au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et État (RDIE) sous l’égide du CIRDI de la Banque mondiale. La multinationale, une filiale désormais en propriété exclusive de la société canado-australienne OceanaGold, poursuivait El Salvador pour perte de profits escomptés après s’être vu refuser une concession minière pour un projet de mine d’or. Le gouvernement du Salvador n’a pas voulu délivrer la concession parce que le géant minier n’avait pas satisfait aux principales exigences réglementaires.
« Le fait que Pac Rim — aujourd’hui OceanaGold — puisse poursuivre El Salvador, alors même qu’elle n’a jamais eu de permis d’exploitation, est un abus de procédure », a déclaré Manuel Pérez?Rocha de l’Institute for Policy Studies. « Ces audiences, qui se déroulent loin des tribunaux indépendants et transparents, minent la démocratie du Salvador et du monde entier.
Aucun gagnant dans l’affaire opposant la minière Pac Rim à El Salvador
Cette affaire a largement influencé la décision du gouvernement du Salvador de ne plus délivrer de permis au secteur minier. Cette décision a reçu un appui général de la population du Salvador. Un sondage récent réalisé par l’Université centraméricaine (UCA) révèle que 79,5 % des Salvadoriens sont contre les projets aurifères.
« Des dégâts irréparables ont déjà été commis dans les communautés du Salvador », a déploré la Table ronde nationale sur les mines (MESA) du Salvador. « La présence de Pac Rim au pays a provoqué des conflits locaux qui ont entraîné des menaces, des attaques et des assassinats. Nous voulons voir OceanaGold, et toute la souffrance qu’elle a causée, quitter le Salvador et nous voulons que le gouvernement salvadorien proclame l’interdiction de toutes les mines de métaux. »
« En permettant aux sociétés transnationales de faire chanter les gouvernements pour les obliger à adopter des politiques qui favorisent les entreprises, l’arbitrage entre investisseurs et État mine la démocratie d’El Salvador et de partout dans le monde », a dit Marcos Orellana du Centre pour le droit international de l’environnement (CIEL). « Sans égard au résultat, le processus d’arbitrage a paralysé l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques nécessaires pour protéger l’environnement et l’accès à l’eau en tant que droit de la personne. »
« C’est l’un des trop nombreux exemples où une société minière canadienne a eu recours au processus d’arbitrage international dans le but d’intimider un gouvernement pour un projet minier qui n’a pas l’appui de la communauté et qui ne satisfait pas aux exigences réglementaires ou légales », a rappelé Jen Moore, de Mines Alerte Canada. « En revanche, les communautés n’ont aucun moyen réel pour demander des comptes à ces sociétés pour les dommages graves et systématiques résultant de leurs activités. »
Les différends entre investisseurs et États sont des menaces
« Nous avons là un exemple flagrant de ce qui cloche avec ce mécanisme de règlement des différends entre investisseur et État, et qu’il fasse partie de la législation nationale ou d’un traité bilatéral ou multilatéral d’investissement n’y change strictement rien », a expliqué Robin Broad, professeure à l’American University. « L’expérience du Salvador confirme que le recours des multinationales à des tribunaux spéciaux comme celui du CIRDI constitue une menace pour les droits de la personne et pour l’environnement. »
« Une société minière qui se dit responsable ne devrait pas avoir recours à ce genre de mécanisme pour obliger un gouvernement à faire ses quatre volontés », a ajouté Keith Slack d’Oxfam America. « Un pays comme le Salvador a le droit de dire non aux minières sans craindre de s’exposer à des poursuites. »
« À une époque où l’eau est rare, il est inconcevable que le régime mondial de commerce et d’investissement prive le gouvernement d’un pays en proie à des pénuries d’eau, comme le Salvador, de l’espace politique requis pour protéger ses bassins hydrologiques et garantir le respect du droit à l’eau en tant que droit de la personne », a déploré Maude Barlow, présidente nationale du Conseil des Canadiens.
Une justice parallèle bientôt élargie au bénéfice des transantionales
« Soyons clairs : le Salvador n’a rien "gagné" avec ce processus d’arbitrage. La compagnie minière va devoir rembourser le deux tiers, soit 8 millions des 12 millions de dollars dépensés par l'État salvadorien seulement pour sa défense », a dit Pierre-Yves Serinet du Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC). « Rien qu’en frais juridiques, le pays aurait pu offrir des cours d’alphabétisation à 140 000 personnes pendant plus de deux ans. Le pire, c’est qu’on tente actuellement d’élargir cette justice parallèle pour le bénéfice des transnationales à l’ensemble de la planète, via le Partenariat transpacifique (PTP), les accords de libre-échange de l’Europe avec le Canada (AECG-CETA) et les États-Unis (TTIP) et plusieurs autres traités. Il faut plutôt en finir avec le RDIE et mettre en place des obligations et mécanismes contraignants pour que les minières comme OceanaGold soient tenues responsables des dommages sociaux et environnementaux laissés dans leur sillage », a conclu le porte-parole du RQIC.
Source : Meera Karunananthan, Council of Canadians et Marie-Ève Marleau, Comité chrétien pour les Droits humains en Amérique latine –
Sur la photo: Pierre-Yves Sérinet et José Bové