Vancouver, 18 février, congrès de l’Association américaine pour l’avancement des sciences, colloque sur « les risques émergents dans le système alimentaire global ». Une personne se lève : peut-on nourrir toute la planète avec ce qu’on produit actuellement ?
Québec, 20 mars, lancement du site Sauve ta bouffe de l’organisme Les Amis de la Terre. Une vingtaine de personnes essaient de trouver des solutions : comment peut-on diminuer localement le gaspillage alimentaire ?
Deux lieux, deux moments différents, mais la même préoccupation : la sécurité alimentaire.
L’Organisation des Nations unies estime que la Terre devra nourrir 9 milliards d’individus en 2050. Les scientifiques innovent pour améliorer les rendements des productions. Mais cela ne fera pas tout. Une meilleure répartition des produits agricoles et une diminution du gaspillage résoudraient une grosse partie du problème.
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime, dans un rapport sorti en 2011, que 1/3 de la production mondiale n’est pas consommée. Environ 1 milliard de tonnes jetées par an.
Dans les pays du Sud, le gaspillage se fait au niveau de la production par manque de bons équipements de stockage ou d’acheminements des denrées. Mais en Amérique du Nord, le problème du gaspillage se situe principalement dans les phases de vente et de consommation. Bien qu’il y ait des pertes au niveau de la production, c’est surtout les supermarchés et les individus qui gaspillent. Ce que confirme l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), à Paris.
Légende : Gaspillage estimé en Amérique du Nord – Tableau du rapport de la FAO.
C’est d’ailleurs sur ce gaspillage individuel qu’a décidé de se concentrer l’organisme communautaire les Ami(e)s de la Terre de Québec. Le site Internet Sauve ta bouffe propose des petites astuces pour ne pas perdre certains aliments et des recettes originales pour les cuisiner. Estelle Richard, responsable du projet, explique que « les gens ont perdu la valeur des aliments. Pour beaucoup d’entre eux, un sac de carottes représente seulement sa valeur monétaire, soit 2 dollars. Ils ne pensent pas à tout l’investissement énergétique qu’il a fallu pour le produire. » Comme le confie Barbara Redlingshöfer, de l’INRA, au journaliste indépendant Denis Delbecq, « il faut également éduquer les consommateurs dès l’école. Par exemple, expliquer la différence entre une date limite et une recommandation d’utilisation optimale ».
Rémy Lambert, professeur titulaire et directeur du département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval, explique que les consommateurs sont habitués à des produits parfaits. « Ce n’est pas parce qu’une pomme a une petite marque qu’elle est mauvaise ».
Le gaspillage : des frigos qui influencent les champs…
Cette exigence esthétique des consommateurs engendre du gaspillage directement sur les lieux de production. Les pertes se situent donc aussi au niveau des agriculteurs, mais pour des raisons différentes que dans les pays du sud.
Jean-François Marcoux est producteur maraicher dans la région de Québec. Il perd parfois des produits, car ils ne sont pas assez parfaits pour être vendus. Mais il se dit chanceux, car ce qui n’est pas vendu sur les marchés est récupéré par Moisson Québec, puis redistribué dans des soupes populaires. Cependant cette pratique n’est pas viable à long terme, même si elle est louable, car elle ne diminue pas le gaspillage. « C’est juste une solution de remplacement. Un pansement sur le problème », pense Dominique Bernier des Amis de la Terre.
« Il y a une réponse à apporter à chaque étape de la chaine alimentaire », avance Barbara Redlingshöfer, toujours dans l’article de Denis Delbecq. Elle explique que le coût de la main-d’œuvre incite à préférer laisser les récoltes pourrir sur pieds. Ce que confirme Dominique Bernier, des Ami(e)s de la Terre de Québec, « quand le prix qu’on propose est trop bas, certains agriculteurs, n’ayant pas assez de marge de manœuvre au niveau rentabilité, préfèrent détruire leur production pour toucher l’assurance récolte ». Pour elle, « le modèle agroalimentaire est complètement malade. Il faut le revoir vers une organisation plus locale ». Cela aidera-t-il les gens à se sentir plus impliqués et à moins gaspiller ?