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Texte de l’entrevue exclusive avec le ministre François Gendron

Le monopole n’est pas le problème numéro 1 
Le ministre de l’Agriculture, François Gendron nous a reçu cordialement à son cabinet à la fin mai, nous confiant qu’il lisait régulièrement notre mensuel La Vie Agricole. Après plusieurs demandes d’entrevues, nous nous retrouvions enfin avec le ministre actuel de l’Agriculture quelques jours après qu’il ait annoncé sa nouvelle Politique de souveraineté alimentaire. Avec ce geste d’ouverture, La Vie Agricole, seul journal agricole véritablement indépendant dans la province de Québec, a posé les vraies questions qui concernent les enjeux du secteur agricole. 

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Yannick Patelli (YP) : On sait que l’État subventionne à coup de centaines de millions de dollars quelques familles millionnaires de l’agriculture, notamment en production porcine. Acceptez-vous le principe de la subvention à la tête de porc et l’agriculture industrielle ou pensez-vous parfois que le retour d’un système d’ASRA avec un plafonnement serait bénéfique pour relancer le concept de ferme familiale ? A la conférence de Montmagny tenue récemment, vous avez laissé entendre qu’il y aurait des modifications, est-ce de cet ordre-là ? 
François Gendron (FG) : “ J’ai pas laissé entendre… J’ai clairement affirmé ce qui va se passer : Que je voulais avoir un chantier sur la révision des programmes alors c’est pas pareil. J’ai clairement dit que je veux une révision des programmes et il y aura révision des programmes.“ 
YP: Est-ce que ça pourrait tendre vers un retour au soutien à la ferme familiale avec les plafonnements comme ça existait avant ? 
FG : “Les éléments de la politique sont très clairement exprimés. Y’avait pas de politique, y’en a une. Y’avait pas de plan d’action, y’en a un. Y’avait pas de table de concertation, y’en a une. Alors, c’est clair que j’aurai à me référer à cette table de concertation assez souvent. Et le modèle familial, j’ai absolument rien contre ça, je suis pour ça à mort. Mais moi je ne finance pas A, B ou C, c’est la financière qui donne des supports à des programmes et j’ai signifié qu’il y avait lieu d’être plus souple. Tous les paramètres que je définis dans la Politique, je veux les rencontrer.“ 
“La Politique c’est un guide, l’oxygène, la Politique c’est le souffle c’est la perspective enfin d’un gouvernement qui se branche ce qui n’a pas été le cas de l’ancien.“ 
YP: Des hommes politiques libéraux disent clairement que l’agriculture industrielle vaut autant que l’agriculture familiale. Est-ce que vous êtes d’accord avec ça ? 
FG : “Moi j’ai pas à être d’accord avec des idéologies. J’ai à être d’accord avec la volonté ferme que le secteur agroalimentaire prenne de l’expansion, se développe. Qu’il y est de la confiance. Et que l’on s’ajuste à la réalité de l’agriculture moderne. Or, s’ajuster c’est la multifonctionnalité. La question est: les programmes rencontrent-ils les enjeux de la nouvelle Politique ? Si oui pas de problème sinon on devra changer les programmes !“ 
YP : La diversité syndicale est la norme dans l’ensemble des secteurs d’activités au Québec. Ce n’est pas le cas en agriculture. Il y a un monopole et on pense comprendre que vous êtes plutôt enclin à soutenir le monopole. Est-ce que vous pouvez nous expliquer les avantages du monopole syndical ? 
FG : “Non je ne pourrais pas vous expliquer les avantages du monopole ! Ce n’est pas de mes affaires la représentation syndicale. Tout ce que je dis, c’est pas ce que vous suggérez ! Y’avait d’autres urgences dans le secteur agricole. Je crois qu’il y avait beaucoup de problèmes plus urgents que le monopole dont je me suis fait parler partout lorsque j’ai fait le tour du Québec. J’ai tout simplement fait le choix mature, responsable de dire je vais publier une Politique où on s’attaque davantage à d’autres réalités beaucoup plus urgentes sur lesquelles je dois agir que le monopole ou pas.“
Et il ajoute 
“Mais je suis conscient de ça, je le vois (le problème). Les producteurs agricoles sont des entrepreneurs et en général ce sont des gens qui sont capables de se gouverner avec intelligence. Si le modèle de L’UPA ne fait pas leur affaire à eux de le changer ! Moi je viens d’origine syndicale. Il m’est arrivé souvent de conseiller à mes membres que s’ils n’étaient pas contents de la façon dont on les servait, d’apporter les corrections“ 
YP : Le peuvent-ils à partir du moment où il y a une loi au Québec qui leur interdit d’avoir plusieurs syndicats ? 
FG : “Bien sûr qu’ils le peuvent parce qu’il y a d’autre façons d’exprimer son désaccord. Je l’ai vécu dans mon parcours syndical à quelques reprises. Ça fait partie de la vie de tous les jours. Et je suis conscient de la réalité, mais faire à croire que c’est le problème numéro 1 au niveau de l’agriculture, moi j’embarquerai pas là-dedans, ça c’est clair ! Alors est-ce qu’à un moment donné les producteurs agricoles vont se doter d’un instrument collectif plus représentatif ? Si c’est la lecture qu’ils font ça leur appartient ! Je leur fais confiance.“ 
C’est à ce moment seulement qu’il laisse entrevoir qu’il pourrait lui aussi un jour se poser la question du maintien du monopole ou pas dans le futur : “ Si au fil des ans, j’additionne la multiplication d’avis contraires, moi je suis un gars de terrain et très sensible aux opinions des gens“ 
YP : Avant de changer de sujet, on aimerait vous soumettre trois phrases obtenues par La Vie Agricole de personnalités politiques. On aimerait vos commentaires sur chacune d’entre elles. 
• La première est de Philippe Couillard : ‘’C’est aux agriculteurs que revient ce choix-là. Après 40 ans un débat doit avoir lieu sur la question’’ 
FG : “Euh oui si ça prenait une proportion aussi majeure que d’autres dossiers ! Parce que les mêmes libéraux, ils ont fait quatre fois le débat pour savoir si on garde les cégeps. Pourtant celui-ci était tranché en faveur du maintien des cégeps chaque fois mais on dirait qu’ils ont une aversion pour le collégial, c’est leur droit ! Aussi vous avez écrit le parti libéral et le PQ c’est pareil…Moi je peux vous dire que c’est pas pareil pantoute ! “ 
Il a fallu que je rappelle au ministre le contexte de cet écrit qui faisait référence à M. Marceau producteur de porc qui ne semble pas avoir obtenu plus de soutien d’un gouvernement libéral que péquiste depuis qu’il est en faillite. A cela, M.Gendron a reconnu que c’était un cas d’espèce dont il ne semblait pas vraiment au courant dans les détails. Bizarre, alors que l’ancien député péquiste de Kamouraska, André Simard, en avait fait une affaire personnelle lorsqu’il était dans l’opposition. M.Simard, maintenant conseiller spécial du ministre était pourtant présent dans le cabinet de M.Gendron pour nous serrer la main à notre arrivée ! 
YP : La deuxième phrase est d’André Boisclair : 
• ‘’Quand j’étais ministre, personne ne voulait ouvrir le débat sur le pluralisme syndical. La situation a manifestement changé et tous les débats sont permis aujourd’hui ‘’ 
FG : “Exact. Moi, je suis un type qui favorise le débat donc je vais souscrire à cela. Moi, je prétends qu’une société évolue dans le débat. Je l’ai dit des centaines de fois comme politicien de carrière, à condition qu’on ait des arguments valables à servir, à condition qu’on sente que ça devient le sujet de l’heure. Or, dans l’agroalimentaire oh qu’il y avait des priorités plus importantes auxquelles je me suis attaquées !“ 
YP : La dernière phrase que l’on vous soumet est de Jean Garon :
• ‘’Patrons et employés dans un même syndicat, c’est absurde et antisyndical ‘’ 
FG : “C’est coupé court et j’ai beaucoup de respect pour M. Garon comme ministre de l’Agriculture anciennement. Là, on est en 2013, je ne suis pas sûr que j’aurais le même jugement mais mis à part cela, ce que vous venez de dire dans la relation patron-syndicat, il y a une question de convention collective. Y’a une question d’affrontement perpétuel mais là y’a autant de patrons propriétaires chez les producteurs agricoles que de salariés. Cette réalité-là, je sais pas pourquoi vous ne la regardez pas. Elle fait partie de l’évolution. C’est pas comme la relation CSN versus employeurs. C’est pas pareil pantoute pantoute ! On appelle ça le syndicat agricole mais ça pourrait très bien s’appeler l’instance de défense des priorités du secteur agroalimentaire. Mais là, pour des raisons historiques, il porte le nom de syndicat mais l’UPA c’est l’instance qui doit pousser la défense de ses priorités qui sont liées : Une agriculture en meilleure santé, plus d’accompagnements, plus d’effets bénéfiques dans les régions du Québec, plus de production, plus de transformation. Moi j’ai pas de trouble avec cela.“ 
YP: Jean Garon dans son autobiographie décrit plusieurs fonctionnements du système politique au Québec. Il y dit avoir été méfiant lui-même de L’UPA lorsqu’il avait la charge que vous occupez ? Un ministre de l’agriculture risque-t-il de se faire influencer facilement par L’UPA ? 
FG: “Je le pense oui. M. Garon aussi s’est fait influencer. Mais il faut prendre ses distances de toutes les instances qui donneraient trop d’indications que moi, je suis là pour la cause de L’UPA. Moi, je suis pas là pour L’UPA mais pour l’agriculture, les pêches et l’alimentation. Est-ce que c’est normal que leur syndicat qui parle au nom des filières des producteurs, dise on veut à l’occasion échanger avec le ministre de l’agriculture ? Bien sûr. Est-ce que la CSN rencontre plus souvent la ministre du travail que les restaurateurs ? Vous savez bien que oui ! Un ministre doit toujours garder sa distance, je ne veux pas avoir le nez sur l’arbre et je veux garder les yeux pour avoir une vision sur le secteur. 
YP: Vous êtes conscient qu’il y a des mouvances qui nous appellent (comme L’Union Paysanne et le Conseil des Entrepreneurs Agricoles-CEA-) qui semblent avoir des problématiques différentes que celles défendues par L’UPA ? 
FG: “Oui parce qu’ils ont fait le choix, notamment L’Union Paysanne, d’être absents aux concertations. Le CEA est venu pour parler des affaires qui les touchent. L’Union Paysanne dit qu’elle veut l’application du rapport Pronovost et je peux vous dire que j’ai 85 % des éléments du rapport Pronovost qui se retrouvent dans ma Politique. Ils auraient pu venir en jaser. Ils ont choisi de pratiquer la politique de la chaise vide, c’est leur problème !“ 
YP: Dans les années 76 à 85 il y avait un taux autosuffisance alimentaire qui est passé de 45 % à 80 %. Les chaînes alimentaires appartenaient aux québécois, ce n’est plus le cas. A-t-on des chances de revoir un tel taux d’autosuffisance de nos jours ? 
FG: “Une chose qui est sûre et je suis très certain de ça, est-ce que ça me tente d’augmenter le pourcentage d’aliments du Québec dans les restaurants, sur les tablettes d’épiceries puis partout, la réponse c’est oui. S’il y a plus d’aliments du Québec, est-ce qu’on va les transformer d’avantage? Oui. Est-ce qu’on va les distribuer davantage? Oui ! Est-ce que ça a un effet produit intérieur brut accru? Oui. Est-ce que c’est bon pour les régions du Québec? C’est oui. Est-ce que je vise à atteindre le plus haut taux au-delà de 50 %? C’est oui. “ 
Revenant sur sa récente Politique de souveraineté alimentaire, il ajoute : “ J’ai eu beaucoup plus de consensus, que de désaccord et c’est ce que je visais. Je suis très heureux“ 
Je lui rappelle qu’il y a eu les deux tendances dans les réactions à sa Politique de souveraineté alimentaire : Des présidents de fédération de l’UPA qui l’ont largement soutenus, ce que le journal La Terre de Chez Nous a publié d’ailleurs. Mais qu’il existe aussi un mouvement qui s’est exprimé plus largement dans l’ensemble des médias qui contestait sa Politique. 
Il ajoute alors : “Quand M. Saint-Pierre, sous-ministre libéral à mort s’exprime, je trouve que le jupon dépasse pas mal. J’ai jamais vu en 37 ans de vie politique, une politique faire l’unanimité. Je suis fier de ma Politique. Pas plus tard qu’hier soir, j’étais avec des consuls et des sous-ministres. J’ai reçu dix, douze commentaires : Bravo ! Enfin !“ 
YP: Concernant l’accaparement des terres, que ce soit la Banque Nationale, Charles Sirois ou des étrangers, les producteurs craignent de ne devenir que des locataires des terres, que ferez- vous pour contrer cela ? 
Insert : “Est-ce que la loi (sur l’accaparement des terres) va être à ce point contraignante qu’une personne morale ne pourra pas acquérir une terre? Non.“ François Gendron 
FG : “ Je ne crois pas car je vais déposer d’ici juin une loi pour contrer l’accaparement des terres. Est-ce que la loi va être à ce point contraignante qu’une personne morale ne pourra pas acquérir une terre? Non. Je suis un gars franc. Est-ce que je pourrais empêcher cela? La réponse est non. Est-ce que je vais pouvoir limiter cela à mort? La réponse est oui. J’aurais mes dispositions de resserrement à plusieurs égards afin que cette crainte-là s’atténue le plus possible. Moi, mon objectif est de réduire la crainte. Les chinois qui vont nous envahir, c’est pas fondé ! Que les étrangers se portent acquéreurs de nos terres ça ne me dérange pas, s’ils viennent les cultiver, s’ils font partie de la masse critique, qu’ils habitent nos régions. Mais je ne veux pas de spéculation sur les terres et on va aller le plus loin possible que les législations nous permettent.“ 
YP : Une petite dernière question M. le ministre, des nouvelles sur l’enquête Levinoff ? KPMG fait toujours une analyse ? 
FG : Oui, nous on veut avoir un rapport très très précis parce qu’on avait beaucoup de questions sur ce dossier-là et on veut mettre en lumière le rapport le plus percutant possible au sens de nous donner des infos qu’on n’avait pas. On va regarder si on peut prendre des décisions autres. Parce que moi, je veux retourner au Conseil des ministres avec ça. Ça ne sera pas que la décision du ministre de l’Agriculture mais je vais soumettre l’éclairage et la recommandation que j’ai envie de faire sur la base du rapport qui va rentrer au ministère des Finances. 
YP : À partir de quand ? 
FG : “On me dit que c’est assez prochainement mais on ne m’a pas fixé de date. Et on m’a dit que ça évoluait. Moi, je suis le dossier. Je me fais poser des questions par des intervenants légitimes puisque les producteurs sont tenus de contribuer encore et moi, je souhaite que l’on puisse mettre la main sur ce rapport-là. C’est nous qui l’avons commandé. Nous, on prétend qu’il s’est passé passablement de choses douteuses mais je ne veux pas uniquement présumer, je veux avoir des éléments factuels.“ 
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