Mme Garon, les filles, Emmanuel et toute la famille, ex collègues, collaborateurs et amis de M. Garon et vous, tous, chers électeurs et électrices du beau comté de Lévis comme aurait dit Jean devant une aussi belle assemblée
Merci d’être là pour M. Garon et sa famille
Vous savez, M. Garon n’avait pas un très bon caractère. Quand il était convaincu de quelque chose, il l’était avec une telle intensité que, parfois, la diplomatie prenait le bord. Il lui est arrivé, peut-être, de blesser des gens inutilement.
Alors, comment ça se fait que qu’autant de gens l’aimaient et que tout le monde, même ses adversaires, le respectaient?
Comment ça se fait qu’il a réussi à former une famille aussi unie avec Judi et ses filles? Comment ça se fait qu’il a été le ministre de M. Lévesque qui a gardé la même équipe le plus longtemps, avec le même chef de cabinet, le même attaché de presse, la même secrétaire, les mêmes sous-ministres, pendant toutes ces années? Comment ça se fait que les gens de Lévis l’ont élu et réélu à sept reprises, pendant près de trente ans? Comment ça se fait que son départ a suscité une telle émotion à la grandeur du Québec même s’il n’est plus présent sur la scène nationale depuis seize ans?
Comment ça se fait?
Bien sûr, M. Garon était drôle. Son sens de l’humour, sa bonhommie, même sa rondeur, ont été des armes terribles dont il s’est amplement servi tout au long de sa carrière politique. Mais tout cela demeure superficiel.
Bien sûr, M. Garon était un bourreau de travail, mais des gens qui faisaient 12 ou 14 heures par jour, sept jours par semaine, il y en avait plein autour de René Lévesque. Et il parait qu’il y en a encore au Conseil des ministres.
M. Garon a réalisé des grandes choses et c'est sans doute plus fondamental car les gens aiment les politiciens qui ne font pas seulement parler mais qui agissent, qui changent les choses. Ici dans le comté, la route 132 à quatre voies, le Centre des congrès, une nouvelle ville unifiée sur des bases solides et je ne sais plus combien de nouvelles écoles pour que les enfants du comté puissent étudier dans le comté. À l’échelle nationale, il a conçu et réalisé la première et peut-être la seule grande politique agroalimentaire véritablement intégrée du Québec, de la terre à la table comme on disait, incluant autant les pêches et la production de fleurs que le lait et le porc, autant les restaurateurs et les consommateurs que les agriculteurs et les pêcheurs. Tout le monde se souvient de la protection du territoire agricole mais ce n’est qu’un volet de cette politique, un volet important mais un volet quand même.
Oui, son œuvre est colossale mais il y a en a eu d’autres ministres qui ont fait de grandes choses. Il y a plus que cela dans le lien un peu spécial et assez rare qui existait entre M. Garon et la population.
La force morale de Jean Garon
Je pense que la clé, c’est son honnêteté, sa sincérité et son intégrité. Autrement dit, sa grande force morale.
Les efforts que M. Garon demandait aux autres, il se les demandait à lui-même et même plus. Ce qu'il nous disait en privé, il le disait en public même si ce n’était pas toujours «politicaly correct». Plus scrupuleux que lui sur les fonds publics, c’était impossible.
C’était tellement évident que cet homme était entier, qu’il disait ce qu’il pensait et faisait ce qu’il disait qu’on ne pouvait pas ne pas lui faire confiance, qu’on ne pouvait pas ne pas adhérer à ses projets, qu’on ne pouvait pas ne pas partager son enthousiasme.
Je crois que tout le reste de sa personnalité et de son oeuvre découlait de cette droiture d’esprit et de cette force de caractère qu’il s’agisse de ses convictions nationaliste inébranlables, de sa fidélité à René Lévesque, de son attachement aux gens de Lévis et à son mandat de député, plus fondamental à ses yeux que ses fonctions de ministre.
Il en fallait de la conviction pour faire comme il l’a fait à vingt ans, passer ses fins de semaine à ses frais à organiser des assemblées de paroisse dans les villages du Québec afin d’essayer de convaincre les gens d’une idée aussi bizarre à l’époque que la souveraineté du Québec.
Vous savez, M. Garon n’était pas un orateur né. À vingt ans. Il était très timide. Il fallait qu’il se cramponne à ses notes et, pendant les assemblées, il avait tellement chaud qu’il ne voyait plus à travers ses lunettes. Cela en prenait de la force de caractère pour vaincre cette timidité et devenir le grand tribun qu’il a été. À un moment donné, quelqu’un ou quelque chose a dû le piquer et, là, les notes ont pris le bord. Le vrai Jean Garon s’est levé, le poing sur la table, le verbe haut et clair, et il n’a plus jamais eu besoin de discours écris.
Le militant de l’indépendance
M. Garon m’a souvent dit que le titre dont il était le plus fier était celui de militant de l’indépendance. Avec sa force de caractère, je crois que ce militantisme colore toute son œuvre.
Quand M. Lévesque l’a nommé ministre de l’Agriculture, Jean Garon a trouvé d’instinct et presqu’instantanément ce grand objectif de l’autosuffisance alimentaire. Cela a été un outil de développement extraordinaire et, en même temps, quel argument pour la souveraineté. Si on est capable de se nourrir nous même, si on est capable de vendre aux autres autant de produits alimentaires qu’on leur en achète, pourquoi on aurait peur d’être indépendant.
D’ailleurs, M. Garon n’arrêtait pas de dire : «On est capable».
* On est capable de produire d’aussi bonnes céréales que dans l’Ouest. On a de meilleures terres qu’eux ;
* on est capable de produire le meilleur porc et le meilleur bœuf et les meilleurs fromages au monde.
* on est capable de produire d’aussi bons filets de morue que les Islandais ou les Norvégiens;
* Les européens organisent des Floralies internationales, on est capable nous aussi.
Ce «On est capable» qu’il répétait tout le temps c’était, sous entendu : « On est capable d’avoir un pays». Il y a cru intensément, profondément et jusqu’à la fin même s’il savait que cela ne serait pas tout de suite.
Un grand parlementaire
M. Garon a été un député que les gens de Lévis n’oublieront jamais, un grand ministre de l’agriculture mais il a aussi été un grand parlementaire, même dans l’opposition. Il a fait adopter des dizaines de lois et pas une n’a été contestée devant les tribunaux. C’était du solide.
Et Dieu sait comment il est difficile de se démarquer dans l’opposition. Sa principale bataille aura certes été celle du siphonage de la caisse des assurés de la Société d’assurance automobile. Au début des années 2000, la loi a été modifiée afin de faire de cette caisse une véritable caisse « fiduciaire », ou le gouvernement ne peut plus prendre l’argent pour l’envoyer au Fonds consolidé. Encore là, la bataille de Jean Garon n’aura pas été vaine.
Son passage au ministère de l’Éducation a été très bref, mais il aura eu le temps d’y laisser sa marque. Je suis sûr que, s’il avait eu le temps, il aurait réalisé en éducation le même genre de révolution qu’il a faite en Agriculture.
M. Garon avait un grand respect des institutions, qu’il s’agisse de l’UPA, de la Fédérée, des universités ou de Desjardins. Mais quand il constatait qu’une institution avait tendance à se servir plutôt qu’`à servir, il devenait intraitable.
Les commissions scolaires l’ont appris à leurs dépens quand il a défendu les dernières écoles de village.
Je pourrais parler de M. Garon pendant des heures.
Comment ne pas mentionner ses batailles avec le fédéral. Il n’a jamais été un grand fervent des référendums même si, en bon soldat, il a suivi la stratégie du parti. Son étapisme à lui, c’était de gagner des batailles avec le fédéral, une par une, afin d’aller chercher tous les pouvoirs que nous donne la Constitution et même plus.
Et ses batailles, il les a toutes gagnées : la bataille des pêches, celles des céréales, la bataille de la stabilisation des revenus agricoles, du Col-du-Nid du Corbeau et j’en passe. Il s’est même permis lors d’une conférence fédérale provinciale, de «boucher» le premier ministre Trudeau qui s’était aventuré dans un débat sur l’agriculture. Il l’a littéralement mis dans sa petite poche, ce que peu de politiciens peuvent se vanter d’avoir fait.
Une machine à idées
Jean Garon, en plus de tout ce qu’on a dit de lui, était une extraordinaire machine à idées et à projets. C’est lors de la course à la chefferie de 1985 que je l’ai vu à son meilleur sur cet aspect créatif.
Il faut s’imaginer une campagne de fou avec dix grandes asemblées publiques dans autant de régions en moins d’un mois : deux ou trois par semaine. Et Jean Garon a réussi à lancer des idées neuves à chaque fois, à proposer des politiques sur des thèmes qui n’avaient rien à voir avec l’agriculture.
Cela a commencé par son grand thème du bonheur national brut, plus important pour lui que le produit national brut. Ailleurs, il a lancé l’idée d’une grande politique intégrée du St-Laurent, incluant le transport et le cabottage, les pêches et le tourisme et, bien sûr, le rapatriement des quais du fédéral. Son ami, Jacques Baril, a commencé à la mettre en pratique quand il était ministre des Transports et je suis heureux de constater aujourd’hui que M. Legault et M. Couillard ont découvert eux aussi l’importance du fleuve St-Laurent. Il a parlé de plein emploi avec une politique de partage de temps de travails sans pénalité, d’une véritable politique de transport basée par seulement sur le camionnage mais aussi le train, le bateau, l’avion ou encore de la création d’une banque nationale de crédit rural qui aurait été une banque nationale de développement régional avant le temps.
Il était la locomotive d’un train qui fonçait vers un grand objectif : le bonheur national brut, autrement dit le bien comun, dans le cadre d’un Québec indépendant. Quand on était à bord, on n’avait pas le goût de débarquer et même si on l’avait voulu, ça n’aurait pas été facile parce que cela allait pas mal vite.
Je pense que tous ceux et celles qui ont été près de M. Garon ont été touchés depuis son décès par l’avalanche de témoignages d’estime, notamment de la part de simples citoyens sur les médias sociaux. Il y a un commentaire qui est revenu souvent : «il n’y en avait pas d’autre comme lui et il n’y en aura pas d’autres». C’est très flatteur et en même temps, c’est très triste. Je ne crois pas que M. Garon aurait été d’accord avec cela. Bien sûr, il lui arrivait d’être découragé par le cynisme ambiant mais ce n’était pas un découragement profond. M. Garon a toujours été optimiste dans le fond.
Il aimait les jeunes et il avait confiance en eux. Les «Jean Garon» d’aujourd’hui ne se promènent plus dans les villages de la Gaspésie avec un haut-parleur sur le toit de leur auto pour annoncer une assemblée publique. Ils sont sur les réseaux sociaux; ils parlent d’environnement et d’aller à l’autre bout du monde. Mais ils ont soif de valeur morale, de force de caractère, de sincérité et de vérité. Ils peuvent trouver tout cela en regardant la vie de M. Garon et je les invite à le faire.
Je tiens à remercier les gens de la Vie agricole qui ont offert à M. Garon sa dernière tribune au cours des dernières années en publiant sa chronique. Cela a été important pour lui. Je les remercie également, avec M. Péladeau de Québécor, d’avoir permis la réalisation de sa biographie. Ce n’est parce que j’y ai contribué mais elle vaut la peine d’être lue, surtout comme l’a écrit M. Parizeau dans la préface, par tous ceux et celles qui aspirent à faire de la politique un jour, de la politique autrement il va sans dire.
Merci au gens de Lévis d’avoir permis à M. Garon de faire ce qu’il a fait en l’élisant à sept reprises pendant près de trente ans.
Merci aux militants du comté qui ont été capables de l’endurer pendant toutes ces campagnes électorales alors qu’il n’était pas de tout repos, c’est le moins qu’on puisse dire
Merci surtout à Mme Garon et à ses filles de nous l’avoir prêté, pour ne pas dire de nous l’avoir donné pendant toutes ces années
Merci M. Garon, merci Jean. Lévis, le Québec, tous ceux et celles qui ont travaillé avec toi ne seraient pas ce qu’ils sont aujourd’hui si tu n’avais pas été ce que tu as été… un grand homme.