Au cours de sa carrière, Hélène Alarie a accumulé plusieurs fois le titre de «première femme à…» : première femme agronome au Québec, première femme commissaire à la protection du territoire agricole, une des premières femmes sous-ministres adjointes à l’Agriculture, sans doute la première femme à enseigner l’agronomie en Algérie après la guerre d’indépendance.
À travers toutes ces premières, jamais elle n’a eu l’Impression de mener un combat autre que celui d’être elle-même et d’exceller. «Je ne sais pas combien de fois on a essayé de me faire dire, au nom d’un certain féminisme, que cela avait été difficile mais ce n’est pas vrai», raconte celle qui, en 1958, à dix-sept ans, s’est retrouvée seule femme parmi les 200 étudiants de la Faculté d’agronomie de l’Université Laval, alors située à La Pocatière.
«J’avais du caractère en masse mais, au début, pour prendre ma place, il a fallu que je ne sois pas trop susceptible», admet-elle. Son arme aura été son sens de l’humour et son art de tourner en ridicule des situations qui, autrement, auraient pu dégénérer.
La passion de l’agronomie pour moteur
Outre le plaisir qu’elle ne nie pas d’avoir été pendant cinq ans la seule femme de sa promotion, c’est sa passion pour l’agronomie qui a été son principal moteur. «La beauté de l’agronomie est qu’elle touche à tellement de domaines, la biologie et l’étude des sols évidemment, mais aussi la sociologie rurale, la politique, l’alimentation, et mêmes les communications».
«Nous étions deux cent étudiants universitaires dans une petite ville de campagne mais, contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’était un milieu extrêmement ouvert car nous avions accès à des conférenciers de renom de partout». Mme Alarie admet d’ailleurs avoir ressentie comme une coupure dramatique le passage de la faculté d’Agronomie de La Pocatière au nouveau campus de l’Université Laval à Sainte-Foy au début des années 60. «Le contenu scientifique a sans doute été rehaussé avec l’arrivée de la crème des enseignants mais on a été plus déconnecté de la réalité», estime-t-elle.
De l’enseignement à la politique, un parcours de fonceuse
Si son passage à l’université, toute masculine qu’elle ait été, a été une période extraordinaire de sa vie, Mme Alarie garde un tout autre souvenir de son arrivée sur le marché du travail. La profession n’occupait pas toute la place qui est la sienne aujourd’hui et le milieu était encore très «macho». La jeune diplômée se tourne donc vers l’enseignement, au secondaire puis dans les Cégep naissants. «J’ai toujours aimé transmettre le goût des sciences et l’agronomie prépare très bien à cela avec son mélange de théorie et de pratique».
En 1969, son caractère de fonceuse se manifeste à nouveau alors qu’elle accepte un poste d’enseignante à l’Institut national d’agronomie d’Alger. Devant des classes exclusivement masculines, il lui a fallu beaucoup de cran de même qu’un mélange de retenue, pour ne pas mettre les pieds là où il ne fallait pas, et de caractère pour ne pas céder sur l’essentiel.
De retour au Québec, une expérience dans l’élevage bovin et l’horticulture lui a fait réaliser à la dure qu’à l’époque, il était quasi impossible de se lancer en agriculture à partir de rien, sans des parents pour nous transmettre un patrimoine.
Appelée par Garon
Le grand virage dans sa carrière, celui qui lui a permis de donner toute sa mesure d’agronome, de pédagogue et de femme de caractère est survenu en 1979 lorsque le ministre Jean Garon lui a demandé de devenir membre de la toute nouvelle Commission de protection du territoire agricole. «Cela a été les plus belles années de ma vie professionnelle alors qu’il fallait partir de zéro, rendre des décisions quotidiennement, bâtir la jurisprudence et négocier en même temps les zones permanentes de centaines de municipalités».
Riche de ce travail de pionnière et d’une expérience de treize ans au sein de la CPTA, Mme Alarie porte un jugement sévère sur ce que cette institution est devenue au fil du temps. Selon elle, la Commission souffre d’un manque de cohérence et de compétence depuis que «la politique est entrée là-dedans et que des nominations partisanes en font un refuge pour d’anciens attachés politiques».
En 1992, Mme Alarie voit son mandat de commissaire non renouvelé pour des raisons qui n’ont rien à voir avec sa compétence. Et parce qu’elle n’était jamais contente de ce qu’elle voyait en politique, c’est donc tout naturellement qu’elle évolue vers un engagement direct sous la bannière du Parti Québécois. Elle se présente à l’investiture dans Kamouraska-Témiscouata, sans l’aval des autorités du Parti en fonceuse qu’elle est, parcourt le comté en tous sens, fouille ses dossiers et l’emporte par dix voix. À l’élection de novembre 1994, elle perd de justesse mais garde un souvenir extraordinaire de son expérience et le goût d’y revenir.
En 1995, on la retrouve conseillère spéciale au cabinet de Marcel Landry, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation dans le bref gouvernement de Jacques Parizeau, puis sous-ministre adjointe aux régions, poste qu’elle occupera jusqu’en 1978. Encore une fois, Hélène Alarie se retrouve seule femme dans «un club de gars», ce qui ne suffit pas à la démonter loin de là. Elle se fait un devoir de développer l’autonomie de ses directions régionales et de valoriser l’humain sans mettre de côté la rigueur.
Son mandat terminé, Hélène Alarie se retrouve sans avoir trop le temps d’y penser candidate du Bloc Québécois dans le comté de Louis-Hébert qui englobe le campus de l’Université Laval puis élue à la Chambre des communes. Porte-parole en matière agricole, elle mène différentes batailles notamment sur la tremblante du mouton qui décime les troupeaux québécois et que le fédéral refuse d’indemniser adéquatement alors que la contamination origine d’une de ses fermes expérimentales. Elle est également la première à soulever un débat sur l’identification des produits contenants des OGM.
À Ottawa, elle découvre avec surprise qu’elle est plus connue comme parlementaire dans les provinces de l’Ouest qu’au Québec, tellement est grande l’indifférence de ses concitoyens sur ce qui se passe dans la capitale fédérale, surtout en agriculture. «Pourquoi nos médias agricoles n’ont-ils pas des correspondants à Ottawa», se demande-t-elle encore aujourd’hui.
Femme, agronome et fonceuse, Hélène Alarie peut en définitive témoigner d’un parcours remarquable, parcours qui se poursuit, elle qui est toujours prête à reprendre son collier de militante pour une cause qui lui tient à cœur, comme l’agriculture urbaine par exemple. À suivre…
(crédit photo : Le Coopérateur agricole)