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La religion du marché mondial

Cela aurait dû être un enjeu majeur de la campagne électorale. Je parle de la signature du Partenariat transpacifique. Lorsqu’il s’est imposé dans l’actualité, c’était évidemment lorsqu’il était question de la gestion de l’offre. Les producteurs s’inquiétaient avec raison de sa fragilisation, qui pourrait mener à terme à sa dislocation. Rares sont ceux, toutefois, qui ont remis en question le bien-fondé de cette marche obligatoire vers un libre-échange de plus en plus mondialisé, comme s’il s’agissait de l’horizon indépassable de notre temps.

Il faudrait pourtant le faire. Officiellement, le libre-échange mondialisé se présente comme un projet économique porteur, censé assurer la prospérité de tous ceux qui y participent. Il s’agirait d’un progrès évident, qu’aucun esprit sérieux ne contesterait. On pèse moins ses grandeurs et misères qu’on se demande de quelle manière assurer son triomphe, comme si l’humanité ne saurait connaître d’autre destin. À ceux qui s’inquiètent pourtant du mauvais sort qu’il pourrait réserver aux agricultures nationales, ou plus largement, aux industries nationales, on répondra avec une froide cruauté que chacun, dans le nouveau monde, doit s’adapter ou bien crever.

La discussion serait pourtant plus éclairante si on la sortait des seules considérations techniques pour examiner les fondements du projet libre-échangiste. On trouverait alors, contre toute attente, qu’il n’est pas exempt d’une dimension religieuse. Ou plutôt, il représente une facette de la religion dominante aujourd’hui: la religion de l’humanité. On connait son dogme fondateur: l’humanité est une, et les différences entre les peuples et les civilisations sont secondaires. Pour cela, il faut travailler à les déconstruire activement pour créer une société mondiale, qui sera aussi un marché mondial.

Pour les tenants de la religion de l’humanité, les cultures, les nations, les États et les civilisations sont tout autant d’obstacles à leur sublime objectif: une humanité une fois pour toutes débarrassée de ses frontières politiques, culturelles et religieuses. Dans sa perspective, tous les hommes sont interchangeables. On peut les déraciner comme on veut, les déménager d’un territoire à l’autre selon les exigences du marché, les faire migrer d’un continent à un autre sans que cela ne cause quelque problème. Plus encore, ceux qui confesseront quelques réserves seront suspectés des pires sentiments.

Au mieux, on les présentera comme d’horribles réactionnaires, intoxiqués par la nostalgie, et convaincus que c’était mieux avant. C’est naturellement impardonnable. Car celui qui s’imagine cela remet en question l’idée selon laquelle chaque changement est un progrès, et chaque frontière abolie, une libération. On devrait pourtant être en droit de se demander si un pays ne devrait pas d’abord assurer la protection de ses citoyens, de ses habitants. Est-il permis de croire que le protectionnisme ne soit pas toujours un gros mot?

Il ne s’agit pas de remettre en question en soi le libre-échange ou la libération relative du commerce. Aucune société n’a intérêt à se refermer sur elle-même jusqu’à l’asphyxie. Avoir des frontières ne veut pas dire s’enfermer dans une prison. Mais on devrait parler du libre-échange raisonnablement, en le détachant du dogme de la mondialisation heureuse. La discussion serait alors plus éclairée. Et éclairante.

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