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Accaparement des terres: Mythe ou réalité?

Les éclatantes acquisitions de terres agricoles au Saguenay Lac-Saint-Jean en 2012 par la Banque Nationale du Canada auront eu l’avantage de sensibiliser les acteurs du monde agricole. Après quatre années de débats, d’analyses rigoureuses, mais aussi d’épouvantails de toutes sortes, d’une commission parlementaire qui aura permis l’expression de tout et chacun, où en sommes-nous maintenant? Tournerons-nous finalement la page sur cet épisode en regard des défis actuels et futurs qui attendent les exploitants agricoles du Québec?

L’ampleur du « problème »

Notons que les débats qui ont eu lieu depuis quatre ans se font en l’absence d’une définition claire de ce « problème ». Celle donnée par les spécialistes et faisant consensus est l’acquisition de larges étendues de terres par des investisseurs étrangers aux fins de production agricole : or au Québec, la Loi sur l’acquisition de terres par des non-résidents prévient de tels achats. Adoptée en 1978, force est d’admettre qu’elle fut efficace puisque le MAPAQ estime qu’environ 0,2% des terres agricoles de tout le Québec seraient détenues par des non-résidents, soit environ 126 km2 ou 12600 hectares. De l’avis de plusieurs, ce n’est pas très préoccupant, car environ 84% des terres agricoles du Québec appartiennent à des propriétaires exploitants agricoles, alors que la moyenne canadienne est de 65%, ce qui place le Québec au premier rang au Canada pour cette statistique. La principale conclusion d’une étude[1] sur le sujet est qu’au Québec, « … on ne peut tout simplement pas parler d’un accaparement, ni par des investisseurs étrangers ni par des acteurs non agricoles ». Alors, où est le problème?

Y a-t-il un seul « bon » acheteur?

Au lieu d’accaparement de terres, il faudrait plutôt parler d’achats de terres par des investisseurs non traditionnels, c’est-à-dire autres que les agriculteurs habituels, comme les Pangea, les Agriterra, et les Partenaires SEC de ce monde.  L’UPA et la Fédération de la relève agricole prétendent que ces investisseurs pratiquent de la spéculation foncière. Les auteurs d’une autre étude[2] pensent plutôt que si ces investisseurs « … veulent obtenir du rendement, ils sont conscients qu’ils doivent éviter la surenchère. Ce sont surtout les transactions localisées près des fermes en expansion qui entraînent des prix d’échange plus élevés ». Et ces transactions, ce sont les agriculteurs mêmes qui les effectuent.

De l’avis de plusieurs, ces investisseurs ont des effets positifs dont :

-remettre en exploitation des terres en friche
-permettre, par leur modèle d’affaires, aux partenaires impliqués une capitalisation dans des équipements favorisant ainsi la productivité
-favoriser la revitalisation de certaines régions
-être à l’écoute et offrir des solutions à la relève agricole.

L’agriculture au Québec souffre de multiples maux

Et l’un de ceux-là est l’accès aux terres agricoles devenu de plus en plus difficile pour la relève. Il n’est pas donné à tous d’avoir des parents-agriculteurs et qui sont, de surcroit, prêts à léguer l’entièreté ou une partie du capital accumulé. Pour les non-apparentés, à moins d’un très fort capital à l’achat, il est quasi impossible de rentabiliser une exploitation. Il faudra que l’on trouve dans nos politiques publiques une solution à ce problème. Sinon, ce sera peut-être ces investisseurs non traditionnels qui trouveront des solutions. Selon Agéco, « la question est donc de savoir si le Québec fera le choix de laisser les acteurs privés du marché se charger de répondre à ce besoin ou s’il optera pour la création d’un ou de plusieurs véhicules d’investissement comportant une mission sociale et des objectifs de structuration du secteur ».

Un éleveur de bœuf s’exprime

Une libre opinion fut publiée au mois d’avril dernier venant d’un éleveur de bœuf du Témiscamingue, monsieur Michel Duclos, président de l’Union des agriculteurs libres du Témiscamingue. Rejoint récemment par la Vie agricole afin de connaître ses opinions sur l’accaparement des terres, monsieur Duclos pense que les lois actuelles sont claires et qu’il n’y en a pas de problèmes. « L’accaparement des terres, c’est une excuse de l’UPA. Pendant ce temps-là, ils ne s’occupent pas et n’ont pas besoin de parler des agriculteurs qui ont de la misère, que les éleveurs de bœuf font faillite ».  Concernant ses opinions sur les investisseurs non traditionnels, « Les terres, on en a plein de belles terres, on pourrait les utiliser, moi je n’ai rien contre à ce qu’Agriterra ou n’importe qui veule acheter des terres, il me semble qu’on ait dans un pays libre, il en reste des terres, il en reste plein ». Bien sûr, la situation est variable d’une région à l’autre. « Au Témiscamingue, il y a un problème de relève agricole. Les enfants voient leurs parents avoir de la misère à arriver régulièrement, qui font des budgets, pis attention faut pas faire ça, eux autres là, ils se sauvent de la ferme, ils n’en veulent plus ».

Le rapport Pronovost

Ce rapport intitulé « À l’écoute de la relève agricole : le vécu et les attentes des jeunes agriculteurs québécois », ne fait pas non plus grand cas du « problème » d’accaparement des terres, qui demeure « pour les jeunes entrepreneurs agricoles, un phénomène marginal qui est généralement peu visible et qui n’a pas encore eu d’impact significatif dans leur région ». Cependant, à cause de certains facteurs dont celui du prix élevé des terres, l’accessibilité de ces dernières demeure des plus problématiques pour la relève agricole. Il faudra, souligne le rapport, non seulement encourager d’autres modèles d’affaires et d’organisation en agriculture, mais également assouplir les politiques et les règles d’aide à la relève agricole. Par exemple, concernant les programmes du FIRA (Fonds d’investissement de la relève agricole), l’idée de payer au prix du marché une terre au terme d’un contrat de location semble être un irritant majeur pour la relève. Concernant les critères d’admissibilité des programmes, pourrait-on permettre le financement de projets prometteurs portés par des entrepreneurs âgés de plus de 40 ans, ce qui est impossible présentement en vertu des règles actuelles? Est-ce que les modèles coopératifs et les fiducies foncières devraient être davantage promus et soutenus afin de répartir les risques financiers entre partenaires et d’accroître l’accessibilité des terres? Est-ce que la Commission de la protection du territoire agricole du Québec devrait revoir ses politiques et être plus ouverte au morcellement des terres afin de favoriser une agriculture de proximité et  l’accessibilité des terres telle qu’exprimée par la relève agricole?

Les actions à prendre

Bien que la Financière agricole du Québec ait augmenté de 22% en 2014-2015 son budget pour son Programme d’appui financier à la relève agricole, est-ce que 12,1 millions sont suffisants pour l’ampleur de la tâche dont il est question ici? Car présentement,  40% des exploitants agricoles ne trouvent pas preneur au sein de leur progéniture. Les programmes existants sont-ils bien adaptés à cette clientèle? Par ailleurs, on espère que les cinq recommandations de la CAPERN[3] apporteront quelque chose de nouveau, mais cet exercice risque de dévoiler un peu plus précisément une situation que l’on connaît déjà. Certains ont évoqué des mesures fiscales favorisant le transfert intergénérationnel et non apparenté des exploitations, d’autres la constitution de banques de terre. Il faudra être imaginatif, penser autrement, sortir des sentiers battus, il en va de l’avenir de l’agriculture au Qu

[1] AGÉCO. Valeurs et propriétés des terres agricoles au Québec – Enjeux et perspectives. 2012. [2] Jean-Philippe Meloche et Guy Debailleul. Acquisition des terres par des non-agriculteurs au Québec. Ampleur, causes et portée du phénomène. 2013 [3] Commission de l’Agriculture, des Pêcheries, de l’Énergie et des Ressources naturelles. Analyse du phénomène d’accaparement des terres agricoles. Mars 2016.
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