Selon vous, quel est le plus important ingrédient qui entre dans la fabrication d’aliments modernes ? De bons grains ? Des pluies suffisantes ? Des fertilisants ? La réponse qui vous étonnera le plus est la fiabilité qui, à elle seule constitue, à l’échelle mondiale, la plus rare et la plus précieuse des ressources pour produire des aliments. Fort heureusement, le Canada dispose d’avantages naturels qui permettraient à tous les habitants de la planète de nous percevoir comme la source d’aliments la plus fiable – si nous prenons les décisions appropriées.
Produire des aliments de qualité sans ruiner la planète.
À ce jour, une bonne partie de la conversation concernant la production alimentaire a porté sur la quantité. Comment arriverons-nous à produire suffisamment pour nourrir des milliards de bouches additionnelles ? Mais il ne s’agit pas là du défi le plus ardu.
La vraie question est la suivante, à savoir non pas si nous pouvons produire des aliments en quantité suffisante mais plutôt si nous pouvons y arriver de façon durable – produire des aliments de qualité sans ruiner la planète. Nous devons centrer notre attention sur notre capital naturel – l’eau, le sol, et la biodiversité des organismes vivants.
Partout dans le monde, la confiance accordée à la production alimentaire subit un coup dur face à l’épuisement graduel du capital naturel. Dans plusieurs régions, l’usage de l’eau, surtout en agriculture, dépasse la vitesse naturelle de renouvellement de celle-ci. Les algues prolifèrent, stimulées par l’utilisation abusive des fertilisants et les écoulements excessifs de phosphore provenant des villes et villages, et elles menacent les océans et lacs. En Europe et ailleurs, les taux de pesticides dans les eaux souterraines préoccupent. En Chine, les gens en sont venus à se méfier de la production alimentaire locale à tel point que le commerce en ligne d’importation des aliments connaît une popularité sans précédent. Aussi, on se préoccupe dorénavant du rapport entre la santé et la production alimentaire.
Bien que la plupart d’entre nous ignorent le rôle de la science face à ces enjeux, des consommateurs de partout sont de plus en plus précaire face aux méthodes de production et fabrication des aliments qu’ils consomment. Cette préoccupation se manifeste éloquemment dans des mouvements populaires concernant les aliments génétiquement modifiés (OGM), les produits biologiques, la tendance à « l’achat local » et autres. Mais il ne s’agit là que de prétextes aux problèmes plus aigus.
Le Canada doit faire preuve d’audace !
Pour gagner la confiance, il faut aller bien au-delà d’efforts pour rassurer le consommateur sur nos façons de produire des aliments. L’agriculture doit démontrer comment elle opère dans un monde où le capital naturel est limité et comment elle contribue positivement. Par exemple, le secteur agricole mondial peut non seulement
abaisser ses propres émissions de carbone mais aussi absorber une part importante de toutes les émissions de gaz à effet de serre (GES) émanant des combustibles fossiles. Des données récentes suggèrent qu’une augmentation du prix du carbone pourrait engendrer des pratiques de gestion des sols aptes à y prendre avantage. Le Canada doit faire preuve d’audace en poursuivant de telles avancées.
Le Canada, une marque alimentaire puissante
De nombreux pays devront faire face à des augmentations des coûts de production alimentaire découlant de leur fardeau environnemental accru. Les pays qui épuisent systématiquement leurs nappes phréatiques subiront des pénuries d’eau. Certains autres ont rasé de vastes étendues de forêts tropicales – les grands puits de carbone – pour usage agricole. Ils ont été victimes de boycotts de consommateurs et de sanctions à cause de leurs émissions effarantes de GES et de leur propension marquée à détruire les écosystèmes.
Les chaines d’approvisionnement réagissent. Par exemple, le Canada joue un rôle de premier plan en production bovine durable. Nos détaillants contribuent à un effort mondial pour soutenir un approvisionnement durable en produits de la mer. Plusieurs producteurs d’ici et d’ailleurs pratiquent une meilleure gestion des pesticides et des fertilisants. Plusieurs entreprises alimentaires optimisent leur consommation énergétique et hydrique.
Notre occasion stratégique réside dans le fait que plusieurs pays éprouveront des difficultés à préserver, et encore moins améliorer, leur capital naturel. Bien au contraire, le Canada dispose d’une abondance d’eau douce renouvelable et de terre arable par rapport à la taille de sa population. Même nos redoutables hivers, constituent un avantage puisqu’ils font office de pesticide naturel.
Le Canada peut se prévaloir d’une marque alimentaire puissante alors que de plus en plus de consommateurs recherchent des fournisseurs alimentaires fiables et responsables. Voilà ce que nous, à l’Institut canadiens des politiques agroalimentaires, considérons comme « l’Énorme Possibilité » du Canada. Le Canada peut se positionner comme source alimentaire privilégiée et ainsi en tirer des avantages économiques.
Mais en faisons-nous assez pour tirer le maximum d’avantages du potentiel canadien ? Il nous manque un objectif commun. Nous pouvons à la fois viser à produire plus d’aliments, de le faire de manière durable et d’en améliorer les qualités nutritives. Cela placerait le Canada encore plus à l’avant-garde de l’innovation alimentaire mondiale.
Relever ce défi exigera une importante collaboration dans tout le système alimentaire, entre autres des fournisseurs agricoles, des producteurs alimentaires, des transformateurs et des détaillants. Cette collaboration devra aussi toucher les scientifiques, les fournisseurs de technologie, les institutions financières, le milieu de la santé et autres intervenants.
Des enjeux discutés cette semaine
Évidemment, le gouvernement aurait aussi à jouer un rôle important. À Calgary cette semaine, les ministres de l’Agriculture fédéral, provinciaux et territoriaux discuteront de cet enjeu de confiance du point de vue du maintien du permis social d’exploitation du secteur agroalimentaire. Relever les grands enjeux qui assaillent le secteur (par ex. les changements climatiques) suppose aussi une meilleure coordination du programme scientifique canadien. La tarification du carbone modifiera les comportements, stimulera l’innovation et permettra aux marchés de mieux répartir les ressources. Des données et mesures nationales peuvent servir à évaluer notre progression et permettre une plus grande transparence en matière de pratiques de production alimentaire. Ces étapes permettront d’approfondir la confiance.
Mais nous devons faire preuve de sagacité en nous imposant de nouveaux règlements. Nous voulons prendre les devants sans pour autant donner à nos concurrents une longueur d’avance en matière de coûts. Grâce à ses riches actifs en capital naturel, le Canada a l’occasion d’améliorer sa compétitivité s’il arrive à encourager les consommateurs d’ici et d’ailleurs à valoriser davantage son capital naturel et à mieux comprendre les coûts écologiques réels associés à la production alimentaire.
Les attentes des consommateurs, de nos clients et même celles de nos investisseurs, contribuent à la hausse constante de la barre. Nous devons inspirer rien de moins qu’une transformation de notre façon de voir la nourriture et le capital naturel qui la sous-tend.
En unissant nos efforts dans ce domaine en tant que nation, nous pouvons transformer l’agriculture et l’agroalimentaire canadien en une puissance économique encore plus considérable.