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Un pays vivant

La question de la gestion de l’offre est infiniment complexe et ses subtilités sont généralement incompréhensibles pour le commun des mortels. C’est normal. Il en est ainsi pour toutes les politiques publiques. Mais un enjeu marque largement la querelle qui entoure le maintien ou le démantèlement de ce système: le Québec est-il en droit de prendre les moyens pour conserver son agriculture? Poussons plus loin: peut-il faire de la souveraineté alimentaire un objectif de société? Ou doit-il se dissoudre dans la mondialisation et renoncer à préserver des secteurs qui, soumis au libre-échange, pourraient s’effondrer? 

La querelle peut sembler abstraite. Elle nous inscrit pourtant au cœur des grands enjeux de notre temps. Qu’est-ce qu’un pays? S’agit-il seulement d’un espace administratif et juridique neutre, où vivent des individus porteurs de droits, appelés à se déplacer à travers la planète comme autant de feuilles au vent, selon les exigences et le rythme du capitalisme? Ou s’agit-il d’une entité avec sa profondeur historique, ses paysages, sa culture, ses mœurs, son art de vivre, que des hommes et des femmes enracinés traversent d’une génération à l’autre? Voulons-nous vivre dans un univers décharné qui fait passer le vide existentiel pour une immense liberté ou dans un monde enraciné?

S’il s’agit, comme on le croit, et comme on devrait le souhaiter, d’un vrai pays, avec des urbains et des ruraux, des citadins et des paysans, une métropole et des régions, des villes et des villages, alors il faut veiller à l’occupation du territoire et faire en sorte de préserver les campagnes, en n’acceptant pas leur transformation en zones humainement désertées, où n’habiteraient finalement que des vieillards et des ermites. Je force un peu le trait, mais c’est pourtant ce qui attend nos campagnes si nous continuons de nous soumettre à une vision aussi désincarnée de l’économie.

Le commun des mortels n’est pas étranger à ces préoccupations. On le sait, on se méfie de plus en plus d’une agriculture industrielle désincarnée. Derrière un mot comme bio, ou derrière une préoccupation comme la traçabilité des produits, ou même derrière la valorisation de l’achat chez nous, on sent quelque chose comme un désir d’enracinement. C’est normal: dans un livre majeur, Simone Weil disait que l’enracinement était un besoin fondamental de l’âme humaine. Ils ont tort ceux qui pensent qu’en se coupant de son pays, de sa culture, de sa famille, de sa religion et de sa civilisation, l’homme se libère de liens étouffants: il se condamne plutôt à la pauvreté spirituelle.

Il faut dès lors bâtir, conserver ou restaurer les cadres d’une vie plus humaine. Et pour cela, un pays doit se donner les moyens de défendre les différentes réalités qui le façonnent. Il ne doit pas s’avouer impuissant devant les savants fous d’une mondialisation qui ensauvage le monde. Il y a certainement plusieurs manières de mener concrètement une telle politique. Mais il faut cesser de se lier les mains à l’avance au nom d’une vision fantasmée de la liberté des échanges. Ce n’est pas sombrer dans le protectionnisme délirant que de protéger son pays. Nous semblons l’avoir oublié.

crédit-photo: Le Point

 

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