NDLR : Au lendemain de notre rencontre à Montréal le 21 septembre dernier avec Jean Charest, La Vie agricole lui a demandé de répondre à quelques questions d’actualités. Il s’est tout naturellement prêté au jeu et a démontré un soutien indéniable à l’UPA.
Yannick Patelli : Concernant le lait diafiltré qui nuit au maintien intégral de la gestion de l’offre, certains producteurs disent qu’on ne peut pas empêcher cette importation illégale parce qu’il ferait trop l’affaire d’industriels plus puissants auprès des partis politiques que les agriculteurs. Les producteurs au Québec et au Canada ont-ils encore selon vous les moyens de se faire entendre ?
Jean Charest : L’industrie agricole s’est fait entendre lorsque l’AECG a été conclu. Il était entendu que le gouvernement fédéral allait poser des gestes pour resserrer l’application des règles au sujet du lait diafiltré.
YP : Le ministre fédéral de l’Agriculture, Lawrence MacAulay semble gagner du temps en ne donnant pas de date pour régler la problématique du lait diafiltré. Deux agences fédérales ne se parlent pas dans ce dossier et le ministre de l’Agriculture à Québec dit faire tous les efforts nécessaires, mais rien ne se passe. N’est-ce pas simplement une méthode pour affaiblir la gestion de l’offre sans l’avouer ?
JC : Le ministre fédéral Lawrence MacAulay et son parti avaient pris un engagement très clair pendant la campagne électorale. Ils doivent donc maintenant respecter leur engagement.
YP : Le gouvernement conservateur de M. Harper voulait compenser financièrement les producteurs de fromages dans le cadre de l’accord Canada-Europe qui s’en vient. Le gouvernement Trudeau dit y réfléchir encore. Les producteurs laitiers sont désabusés. Justin Trudeau serait-il à vos yeux du coup moins social-démocrate que Stephen Harper ?
JC: L’engagement du gouvernement fédéral, peu importe qu’il soit conservateur ou libéral, au moment de la conclusion de l’AECG, était clair. Dans l’hypothèse où l’ouverture du marché causerait des difficultés aux producteurs de fromage québécois et canadien, ils auraient des compensations. Les effets de l’Accord en question se feront progressivement sur une période d’au moins 5 ans. Il reste donc du temps entre la mise en œuvre de l’accord et de ses effets sur le marché.
YP : Beaucoup de gens avisés dans le monde agricole qui souhaitent un Québec moderne se réfèrent au Rapport Pronovost, même la Coalition pour la souveraineté alimentaire dont Marcel Groleau est vice-président, mais personne n’en parle publiquement et aucun gouvernement n’applique les recommandations. La force syndicale de par son unicité rend-elle les choses immuables ?
JC : L’UPA n’est pas un obstacle à l’évolution de façon de faire dans le monde agricole. Ce que le milieu attend est un effort de concertation du gouvernement pour aller chercher l’adhésion.
YP : André Desmarais, président et co-chef de la direction de Power Corporation veut partir des fermes biologiques et, son discours ainsi que celui des producteurs auxquels il s’est associé laisse entendre que ces projets novateurs se feront en dehors du cadre de L’UPA, syndicat unique reconnu par la loi. Au regard de votre fine analyse politique pensez-vous que nous vivrons dans les prochaines années un changement majeur dans la représentation syndicale au Québec* et dans les modèles d’affaires agricoles ?
JC : D’abord, je n’ai pas changé d’idée depuis ma déclaration de 2014 et je continue de croire au rôle très important que joue l’UPA.
YP : En France, Nicolas Sarkozy veut sortir de l’espace Schengen pour redéfinir les frontières des pays souverains tout en restant dans une dynamique européenne en recréant le duo avec l’Allemagne, appelé par les médias, le Merkozy. François Fillon vient de proposer une vraie politique rurale et agricole. Ici, M.Charest, vous parlez d’humaniser les traités internationaux. Vivons-nous comme le disent plusieurs experts un retour du balancier et un retour aux intérêts premiers du peuple et seriez aujourd’hui plus social- démocrate que ce que laissait paraître votre action politique ?
JC : Je me suis toujours situé au centre de l’échiquier politique et cela inclut une reconnaissance particulière du secteur agricole dans nos économies, incluant la protection de nos territoires.
*Vous disiez vous-même en entrevue avec La Vie agricole en 2014 : « Le modèle québécois est mis à rude épreuve. Je suis inquiet et il faut une nouvelle agriculture. Quand je vais à l’épicerie, je lis les étiquettes et ça m’interpelle quand je vois des cornichons de l’Inde et de l’ail de la Chine ! Ça m’agace et ce n’est pas normal. Il faut faire une agriculture de proximité, c’est un créneau qu’il faut pousser.»