NDLR : La Vie agricole toujours à l’affût de l’actualité analysée par les décideurs a rejoint le premier ministre du Québec, Philippe Couillard pour une grande entrevue exclusive. Il a accepté de parler librement de tous les enjeux du monde agricole.
Yannick Patelli : On sait que les traités internationaux sont bons pour une partie de l’agriculture, mais nuiront à certains secteurs, dont les fromagers du Québec. Est-ce que la solution passe seulement par la compensation financière ou êtes-vous prêt à défendre que les PME fromagères du Québec, pour ne pas disparaître, obtiennent une partie des quotas d’importation ?
Philippe Couillard : « D’abord je veux dire qu’on est en soutien complet des agriculteurs et sur la gestion de l’offre et sur la sécurité du revenu. Aussi, il faut que l’accord avec L’Europe voie le jour. Le vote au parlement européen n’a pas eu lieu. Les chances sont bonnes qu’il soit mis en place, mais on n’en a pas la certitude. Le jour qu’il sera mis en place, on connaît l’impact sur les fromages: c’est 17600 tonnes d’importation, dont 16 000 tonnes de fromages fins sur une période de cinq ans. On a certainement le temps de prévoir la réaction, la compensation, mais aussi la réaction positive en raison de la qualité des produits pour gagner des marchés
Yannick Patelli : Mais il va y avoir une course pour obtenir les quotas d’importation ?
Philippe Couillard : « Oui, cette question des quotas d’importation est un gros débat. Nous, on a tendance à dire et à redire que les gens affectés devraient être aux premières loges pour recevoir les quotas d’importation. C’est certains que nos grands transformateurs québécois également sont là, mais on veut s’assurer que ce soit le plus près possible des gens qui ont été affectés. Je voudrais aussi parler de la confiance. Nos produits sont tellement de grande qualité, qu’on va gagner des marchés au cours des prochaines années, notamment aux États-Unis et dans le reste du Canada. L’avenir pour les fromages fins est bon. C’est certain qu’il faut tenir compte de l’arrivée de produits européens, mais j’ai tellement confiance dans la qualité de ce qu’on fait qu’il faut rester positif.»
Yannick Patelli : La dernière année a été marquée par de nombreuses manifestations contre l’importation de lait diafiltré, mais le fédéral ne fait rien. Comment comptez-vous aider les producteurs sur ce point pour influer sur le fédéral ?
Philippe Couillard : « Dans ce domaine, on est en soutien également. Je vous rappelle que le ministre de l’Agriculture est allé manifester avec les agriculteurs sur la question des frontières et du lait diafiltré. On n’a pas vu cela souvent. Petit élément de contexte, il y a quand même eu une augmentation de 15 % de la production laitière au cours de la période la plus récente qui vient un peu compenser les impacts de ça, mais c’est pas suffisant. Ce que je peux vous dire sans aller trop dans les détails parce que les discussions ne sont pas terminées, on travaille beaucoup avec les autres juridictions canadiennes pour avoir une position commune et forte pour contrebalancer cet impact-là. Mais vous avez raison, je ne trouve pas que le fédéral a l’air de se dépêcher d’agir. Notre ministre reste en contact étroit avec les autres provinces canadiennes.»
Yannick Patelli : Est-ce qu’on peut envisager un dénouement en 2017 ?
Philippe Couillard : «Oui du moins c’est notre objectif de faire une annonce d’une réaction canadienne qui inclut le Québec.»
Yannick Patelli : Croyez-vous au terme d’accaparement des terres ou vous acceptez le concept d’accompagnement financier privé pour la relève ? Vous vous situez où sur ce sujet?
Philippe Couillard : « Sur les deux plans. D’abord il y a beaucoup de terres non exploitées. C’est important d’en parler. Une grande partie de la réponse à cela, c’est la question de la relève agricole. Je vous réfère à l’annonce récente sur le nouveau programme pour pairer les repreneurs et les vendeurs. Ça a été très bien reçu. Il faut multiplier les initiatives de ce type-là. On voit que la crainte d’achat de terres par les étrangers ne semble pas se manifester. Lorsqu’on trouve des cas ce sont des personnes naturalisées canadiennes, québécoises depuis plusieurs années. Il n’y a pas de phénomène d’achat de terres par des intérêts étrangers. Ce qui est discuté dans le monde agricole c’est la présence des fonds d’investissement. Et il y a des gens favorables et d’autres non. Nous, le modèle qu’on préconise c’est le modèle de la ferme familiale parce que c’est ça qui donne l’option de vie rurale pour nos jeunes. On privilégie les fermes familiales à ces énormes exploitations qui deviennent inaccessibles pour les jeunes. On favorise le bio et les circuits courts. La CAPERN a demandé à l’unanimité un portrait plus complet et ça va être fait. Les deux premiers gestes qu’on a posés, ça a été pour le crédit de taxes sur le capital qu’on a augmenté à 1 million comme prévu et la disposition pour l’acheteur de garanties. Et ça a permis d’améliorer la situation.»
Yannick Patelli : Envisagez-vous de légiférer dans votre mandat pour créer le pluralisme syndical ?
Philippe Couillard :« C’est à eux (les producteurs) de décider ça ! On ne voudrait pas intervenir de façon autoritaire dans ce dossier-là. On pense que ce sont les agriculteurs qui doivent faire la réflexion, le débat. La seule chose qu’on a faite dans ce dossier-là, ce qui était attendu depuis longtemps, on a retiré dans le programme sur le remboursement des taxes une condition de participation de programme qui était l’appartenance à L’UPA. Pas dans un geste hostile à l’UPA, mais c’est une question de principe. Nulle part ailleurs on trouvait ce genre de disposition là pour l’accès aux programmes gouvernementaux. Cette question du monopole syndical ou de la diversification de la représentation syndicale des agriculteurs, c’est aux agriculteurs de la régler. On n’a pas l’intention de l’imposer. »
Yannick Patelli : Il faut donc que les agriculteurs qui veulent du changement s’adressent à la Régie des marchés ?
Philippe Couillard : « Oui, ou bien qu’ils fassent une consultation entre eux. Qu’il fasse un plébiscite, une sorte de referendum entre eux sur ça. Mais j’ai l’impression que le modèle de syndicat unique a quand même bien servi les agriculteurs ces dernières années, mais il faudra respecter la démocratie.»
Yannick Patelli : Envisagez-vous d’ouvrir les plans conjoints à d’autres acteurs que l’UPA pour un éclaircissement sur les montants qui transigent au syndicat et dans les fédérations grâce aux prélevés liés aux plans conjoints, sachant que le ministre Paradis nous a déjà confié ne pas connaître lui-même le montant total de ces prélevés ?
Philippe Couillard : « Si M. Paradis ne le sait pas, je ne le sais probablement pas plus que lui. On ne m’a jamais présenté l’ouverture des plans conjoints comme une action prioritaire. Les questions qui dominent nos conversations c’est la question de la gestion de l’offre et la question de la sécurité du revenu. Et bien sûr le dossier des taxes agricoles.»
Yannick Patelli : Vous abordez le dossier des taxes foncières. Vous maintenez votre point de vue malgré les nombreuses critiques qui sont venues la semaine dernière ?
Philippe Couillard : « C’est un programme qu’on a simplifié en diminuant le nombre de conditions requises pour y participer. C’est un programme auquel on a ajouté des ressources. C’est un programme qui permet de mieux desservir les petits producteurs. Je crois qu’il n’y a pas d’impact aussi majeur que certains l’ont dit. Cependant il est probable que dans des régions périurbaines, comme autour de Montréal, en Montérégie qu’il y ait des grandes exploitations avec des impacts plus importants, mais dans ces cas-là, ces impacts sont pris en charge sauf pour une catégorie, les grains, par d’autres programmes gouvernementaux. Il reste à régler la question des grains. Mais je sais que Pierre travaille là-dessus. Ce qu’on a présenté ce sont des chiffres bruts. En terme net, on ne retrouve pas les impacts mentionnés publiquement.»
Yannick Patelli : Comment percevez-vous la naissance d’un lieu de débat comme l’Institut Jean-Garon ?
Philippe Couillard : « Oui j’ai vu ça. Pierre m’en a parlé. On n’est pas sectaire et on n’a jamais hésité à rendre hommage à des gens qui étaient des adversaires politiques et qui ont fait de belles contributions pour le Québec. Dans le cas de M.Garon, c’est un bel exemple de cela. Moi je vois cet Institut comme un développement positif. Il y a beaucoup de fermentation d’idées et désir d’innovation dans le domaine agricole. Et je suis content que Norbert Morin ait été là pour participer à cette annonce-là!»
Yannick Patelli : Confirmez-vous que Pierre Paradis malgré la grogne des délégués «upéistes» restera ministre de l’Agriculture jusqu’en 2018 ?
Philippe Couillard : « Pierre Paradis est un excellent ministre. Ce que je sais c’est quand je le vois sur le terrain avec les agriculteurs, ça connecte bien. Il connait leur réalité, il connait leurs enjeux. Y’a pas grands dossiers qu’il ne maîtrise pas dans les moindres détails. Je remarque aussi que lorsque les fédérations de l’UPA sont rencontrées, le message n’est pas le même. On n’entend pas les mêmes choses qu’au syndicat central. Dans les fédérations, le message est pas le même. La réaction est plutôt très positive.On a parlé au dernier budget d’un éventuel programme d’investissement et j’ai bon espoir que dans ce budget-là, on va donner suite à cela. C’est une demande justifiée du milieu agricole, qui est nécessaire pour augmenter l’investissement dans nos régions. Pierre fait un excellent travail. Je comprends que parfois pour une organisation de la taille de L’UPA ça peut parfois représenter certains problèmes, mais je les engage à travailler avec nous et à travailler avec Pierre notamment dans le cadre des consultations du Sommet de l’Alimentation, car suite à cela on va avoir pour la première fois une stratégie bioalimentaire qui va faire consensus. C’est majeur et j’ai une grande confiance en Pierre Paradis. Je pense qu’il faut surtout distinguer la connexion avec L’UPA nationale qui a ses enjeux d’avec les agriculteurs et surtout d’avec les fédérations où franchement moi j’ai été témoin de relations positives. Personne ne peut nier l’engagement profond de Pierre Paradis avec les agriculteurs et sa connaissance fine des dossiers.»