Le Canada a décidé de ne pas compenser les fromageries comme s’était engagé le premier ministre Harper suite à la première signature de l’entente avec l’UE. Pourquoi? Il a conçu plutôt un programme d’investissement pour tout le secteur laitier. Pourquoi un programme d’investissement et pourquoi le faire pour tout le secteur laitier, qui à l’exception du fromage, ne sera pas touché par l’entente?
Il est clair qu’un nouveau gouvernement ne se sent aucunement lié par son prédécesseur. C’est une réalité avec laquelle on doit composer.
Mais qui, me direz-vous, conseille les décideurs de prendre de telles orientations?
Depuis des décennies, le gouvernement fédéral dont l’ACIA, la Santé, les Affaires mondiales, le Commerce international et dans une moindre mesure Agriculture et agroalimentaire Canada n’aime transiger qu’avec des groupes nationaux comme les Producteurs laitiers du Canada ou des multinationales comme Parmalat. C’est tout simplement plus expéditif. La connaissance des fonctionnaires de la réalité canadienne est donc grandement limitée par ce choix.
Il y a d’autres facteurs. On renforce la recette pot-au-feu de l’administration ministérielle des denrées alimentaires. Le même fonctionnaire peut passer du porc, aux légumes et au lait dans la même matinée. En même temps et contrairement aux normes alimentaires mondiales de la FAO, le «Codex Alimentarius », on s’oriente vers l’universalité des règlements et lois alimentaires. Le même règlement s’applique autant pour la carotte que pour le fromage et pour la viande. C’est plus facile pour nos fonctionnaires-avocats. Il y a donc de moins en moins de spécialistes ou d’experts qui connaissent les denrées et leurs cultures industrielles particulières. Pire, avec les retraites des baby-boomers, l’expertise disparaît et celle qui reste n’est plus valorisée.
À défaut de connaissances, on engage des « experts » trop souvent théoriques et multidenrées qui, logiquement, ne le sont pas par définition. On devient alors, oh combien, malléable à l’influence de ces « experts » touche-à-tout et surtout des lobbyistes.
Pour éviter toute perception de favoritisme, on « aseptise » les programmes pour couvrir l’ensemble d’un secteur et on s’assure d’une répartition provinciale idéale. Finalement, les denrées sous gestion de l’offre sont souvent perçues par Ottawa comme riche et surprotégées n’ayant pas besoin de compensations.
Ainsi, on ne compensera pas les fromageries !
Ainsi, on ne compensera pas les fromageries. Les décideurs ne croient pas qu’elles seront vraiment impactées et ne croient pas que les fromages importés ne toucheront qu’une partie des fabricants et artisans. Statistiquement, leurs chiffres sont rassurants, du moins sur papier. Statistiquement, l’entente avec l’UE érode à peine et temporairement le marché des multinationales qu’ils connaissent bien.
Le Canada et ses conseillers croient que nous pouvons exporter nos produits même dans une Europe hautement subventionnée et le nouveau programme d’investissement est peut-être conçu sur cette base. Leur point de départ serait-il que le prix des producteurs baissera?
Comment ne pas penser au poète anglais Alexander Pope (1688-1744), célèbre pour avoir écrit qu’une connaissance limitée est une chose dangereuse et qu’il valait mieux boire de la fontaine du savoir à fond ou pas du tout.
pierre.nadeau@videotron.ca