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Des cochons heureux!

Ceux qui se souviennent de la guerre des cochons qui a sévi au Québec autour des années 2000 seront étonnés de me voir faire la promotion des sites d'élevages porcins rustiques et biologiques de l'intégrateur porcin bien connu Vincent Breton, des Viandes Breton de Rivière-du-Loup.

Ce n'est pas d'hier que Vincent Breton répète que l'industrie porcine de commodité au Québec n'est pas compétitive, en raison des coûts plus élevés qu'entraînent chez nous le climat, les transports, les normes environnementales, et que la solution réside dans le développement d'élevages porcins de niche, rustiques, nature ou biologiques, dont la viande est recherchée par un nombre sans cesse croissant de consommateurs qui sont disposés à payer le prix pour un produit de qualité et un produit responsable. Depuis une dizaine d'années, Vincent Breton, en s'appuyant sur une solide entreprise familiale intégrée et l'abattoir moderne qu'il dirige à Rivière-du-Loup, est passé de la parole aux actes. Il a entrepris, avec une équipe remarquable de mettre au point un modèle de production de porcs rustiques et biologiques certifiés, destinés à une clientèle ciblée, majoritairement encore américaine, qui se situe à mi-chemin entre la porcherie intégrée conventionnelle et les élevages artisans des paysans et des Amish dont il s'est inspiré.

Le modèle de production de niche mis au point par Viandes duBreton

La mise au point de ce modèle de production semi-intensif selon les cahiers de charge naturels et biologiques a exigé un travail de recherche, d'expérimentation et un changement de culture colossal, qui se continue jour après jour sur une dizaine de sites de maternité et d'engraissement principalement dans la région de Rivière-du-Loup, qui livre et commercialise déjà environ 400,000 porcs par année. Ce qui semblait impossible au début des années 2000, à savoir élever de façon rentable des porcs sur litière compostée, sans antibiotique, avec une alimentation biologique et dans des conditions qui respectent leurs besoins naturels, est maintenant démontré dans les faits.

Pour y parvenir, il a fallu construire de A à Z une chaîne de valeur et une culture totalement nouvelles par rapport à celles qui sont en vigueur dans les productions conventionnelles de commodités. C'est ce travail minutieux et passionné de recherche que l'équipe de Vincent Breton nous a permis de constater sur place au cours d'une visite qui a duré plus de trois heures. Nous y avons vu des cochons propres, calmes, communicatifs, sur des litières de paille et de bran de scie qui s'accumulent jusqu'à deux pieds d'épaisseur pendant plusieurs mois, au grand plaisir des animaux fouisseurs que sont les porcs, dans des espaces qui sont plus que le double de l'espace qui sera accordé dans les élevages conventionnels après 2024, où la contention est réduite au minimum pour les seules truies allaitantes et où les animaux disposent d'espaces de jeu et de jouets, de stalles de repos et d'alimentation contrôlée, d'équipements pensés de façon à éviter le stress, d'une « cafétéria » permanente, d'une aération et d'un éclairage naturel, et ont accès quotidiennement, en saison tempérée, à des parcs extérieurs, si bien que l'air intérieur, contrairement à ce qui prévaut dans les porcheries conventionnelles, est parfaitement sain et pratiquement sans odeur de fumier ou d'ammoniac. Nous y avons vu aussi des "porchers" fiers de leurs animaux et à l'aise dans leur milieu de travail.

Ces animaux en santé sont le résultat d'une infrastructure et d'une culture elles aussi totalement nouvelles qui ont exigé une persévérance et une intelligence exceptionnelle de la part de l'équipe. Il a fallu apprendre à comprendre le comportement des animaux, à respecter leurs besoins, à les traiter comme des êtres sensibles pour en faire des animaux en santé et heureux. Il a fallu repenser complètement l'aménagement des bâtiments et de l'évacuation des déjections. Il a fallu trouver à approvisionner les élevages en grains produits sans engrais chimiques, sans pesticides et sans OGM, en paille et autres intrants bio, et disposer de la litière compostée comme engrais, en faisant appel de plus en plus aux producteurs de la région où sont situés les établissements. Il a fallu se soumettre à plusieurs cahiers de charges et inspections selon les certifications (Bio Canada-écocert-USDA, Humane, Global) et les exigences souvent incohérentes du Ministère de l'Environnement où tout est conçu en fonction des procédés industriels conventionnels et des caprices de la bureaucratie, particulièrement pour l'accès aux pâturages extérieurs. Il a fallu composer avec des chaînes d'épiceries dont les critères d'approvisionnements sont rigides et ne tiennent pas compte des exigences de productions locales ou de niche. Il a fallu faire face à l'hostilité des intégrateurs et producteurs conventionnels qui se sentent menacés, et dénigrés même, par ces élevages et ces produits de haute gamme. Il a fallu inventer de nouveaux modèles contractuels avec les producteurs participants au réseau, basés sur les coûts fixes de production plutôt que sur les prix flottants du marché et capables de les attirer et de les motiver. Il a fallu trouver des façons de rentabiliser des installations où, pour permettre aux animaux de vivre dans un milieu sain et respectueux de leur nature, on doit attribuer de 3 à 4 fois plus d'espace et de travailleurs que dans les élevages de commodité conventionnels actuels.

Maintenant que la régie d'élevage et le modèle économique sont au point, l'objectif est de convertir le plus largement possible le réseau de producteurs intégrés à la filière des Viandes Breton à ce nouveau mode de production. Le réseau Viandes duBreton comporte près de 300 sites, de taille et de statut très variés, qui vont de producteur indépendant propriétaire de ses bâtiments, jusqu'à producteur intégré, pour une production annuelle de près d'un million de porcs : 60% de ce nombre est encore en production de commodité conventionnelle. "On fait de moins en moins d'intégration traditionnelle", fait remarquer Vincent Breton, et effectivement, les fermes rapetissent et leur statut se diversifie au lieu de grossir et de se concentrer comme dans le réseau conventionnel. Le milieu immédiat des sites d'élevage est de plus en plus mis à contribution. On va vers un modèle d'élevage écologique semi-intensif et de proximité. L'objectif est maintenant de convaincre le plus grand nombre possible de producteurs du réseau de se convertir à la production de niche afin de consolider et rentabiliser toute l'infrastructure d'approvisionnement, de transformation, de marché et d'expertise.

Un défi pour toutes les productions agricoles

On ne peut que se réjouir d'un tel projet innovateur et visionnaire, qui trace la voie à l'ensemble des productions agricoles qui sont de plus en plus coincées dans un modèle de commodité conventionnel où l'étau de la concurrence, de la concentration et des attentes des consommateurs soucieux d'agriculture durable ne cesse de se resserrer. Les nouvelles normes de bien-être animal, qui ne seront obligatoires qu'en 2024, seront encore plus que doublement inférieures à celles des élevages bio. Le Québec produit 7 millions de porcs de commodité conventionnels par année, dont environ 70% sous contrat d'intégration et destinés à l'exportation, mais l'industrie est continuellement fragilisée par les épidémies et la chute dramatique des prix du marché, et sa survie demeure largement tributaire des compensations de l'assurance pour la sécurité du revenu agricole (ASRA) et de plusieurs autres programmes de soutien.

Force est de constater qu'en l'absence d'initiative des dirigeants agricoles en place, figés dans le statu quo, l'innovation vient de plus en plus des investisseurs privés qui font preuve de vision, avec tous les risques que cela comporte. Pourtant, la démonstration est là : une industrie porcine de niche, écologique et intégrée à son milieu, sur grande échelle, est possible, rentable, compétitive et souhaitable : il n'en tient qu'à la volonté des responsables politiques et corporatifs, et des agriculteurs.

 

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