Une vague de sympathie entoure le producteur laitier qui a déversé 12 000 litres de purin autour de la Maison de l’Union des producteurs agricoles à Longueuil, lundi matin. Loin de le condamner pour son geste, la majorité des agriculteurs y voit le signe d’une crise profonde que ni les Producteurs de lait (PLQ) ni l’UPA n’arriveraient à comprendre.
Le geste spectaculaire captée par l’hélicoptère de TVA a fait beaucoup réagir, surtout pour le désespoir qu’il représente face à la situation que vivent des centaines de producteurs laitiers du Québec. L’homme de 66 ans d’Henryville en Montérégie aurait déclaré au directeur général de l’UPA, Charles-Félix Ross qui l’a pris sur le fait, être dans le rouge depuis deux ans.
Avec la chute du prix sous la barre de 70$/hectolitre (hl) et la lenteur à régler l’entrée de lait diafiltré américain, des producteurs laitiers considèrent avoir été mal défendus par leur fédération québécoise et canadienne. Plusieurs agriculteurs interviewés considèrent aussi que l’entente de sept ans, entre les PLQ/PLC et les transformateurs, qui a amené la création de la classe de lait 7, n’aurait rien réglé, puisque le prix continue à descendre.
Le prix du lait à la ferme pour avril a été payé 67,06 $/hl à la composition standard, soit une baisse de 2,99 $/hl par rapport à mars 2017. De leur côté, les rapports trimestriels de janvier à mars de Saputo, Parmalat et Agropur annoncent des revenus records au Canada.
Selon le porte-parole du PLQ, François Dumontier, « La baisse a été principalement causée par une diminution des ventes pour le lait de consommation en classe 1 et les fromages en classe 3. Les ventes en classe 1 sont les plus payantes, mais affichent habituellement une baisse au printemps entre les mois de mars et juillet. Pour la période de mai 2016 à avril 2017, le prix moyen a été de 70,79 $/hl à la composition standard, soit 0,6 % plus élevé que la période précédente de mai 2015 à avril 2016. »
Chute des prix, seuls les transformateurs gagnent !
La situation risque de continuer à se détériorer, pensent certains agriculteurs.
« C’est plus bas de ce qu’on nous payait en 2014. Il n’y a que les usines de transformation qui ne perdent pas d’argent. On est pris avec un gouvernement fédéral et des Fédérations qui ne mettent pas leurs culottes. On est parti pour en faire du lait pas cher », dénonce Louis Hébert, un producteur laitier de Coaticook.
« Je vous prédis que le prix va chuter jusqu’à 63 $ à 65$/hl durant l’été. Quand on voit l’appétit des transformateurs, ceux qui ont budgété serré vont devoir vendre du quota pour trouver une marge de manœuvre financière », poursuit Jean-Claude Charrette de Rigaud.
Grossit ou meurt !
« On ne pourra pas tous grossir. Il n’y en a que pour les grosses fermes. On est sur un système de gestion de l’offre pour s’aider entre nous, pas pour faire mourir le plus petit et récupérer son quota », déplore de son côté Sylvain Dénommé de Laverlochère au Témiscamingue, qui soutient que l’UPA a choisi de suivre les approches de l’entente nationale.
Ce document, Moderniser la politique du Canada, écrit noir sur blanc faire face à deux approches: « libéraliser immédiatement les marchés nationaux tout en accordant des compensations aux détenteurs de quotas ou émettre progressivement de nouveaux quotas de façon que l’accroissement de l’offre entraine naturellement une baisse des prix intérieurs et, partant de la valeur des quotas »
« Je blâme plus les producteurs de lait qui veulent vivre comme aux États-Unis et qui veulent détruire le système collectif. Et j’espère que l’UPA aura la bonté de payer l’amende de 5000 $ de ce producteur désespéré, ce serait la moindre des choses », enchaine Sylvain Dénommé.
Pour L’Union laitière paysanne, on presse le citron !
Le président de l’Union Paysanne, Benoît Girouard, est surpris que cela ne se soit pas arrivé avant.
« Les petits fermes du secteur laitier se sentent abandonnées. Leur fédération leur demande de crever collectivement. On leur presse le citron face à une performance qui ne leur laisse pas plus d’argent dans leurs poches. Le ras-le-bol est généralisé », observe Benoît Girouard.
Le président de l’Union Paysanne souhaite que les producteurs fâchés aient le goût de se regrouper et de créer une union laitière paysanne, pour forcer les changements.
« On est prêt à les rencontrer pour les aider », déclare-t-il.
Simon Bégin, porte-parole de l’Institut Jean-Garon estime que c’est de la responsabilité de l’UPA et au gouvernement de s’attaquer à la marge d’efficacité des agriculteurs, au lieu de laisser agir les lois du marché.
« Ça prend une volonté politique pour permettre de faire face à la musique. Actuellement, il n’y en a que pour les grosses fermes. C’est un choix face à l’occupation du territoire et à l’équilibre social du Québec. Un choix philosophique », rappelle-t-il.