Les déclarations de Trump sur le lait canadien ont suscité bien des émois au Canada, bien des spéculations sur l’avenir de notre gestion de l’offre. Mais quels effets ont-elles réellement eus de l’autre côté de la frontière ? Beaucoup d’Américains réclament des mesures de contrôle de la production de lait afin d’éviter les crises répétées qu’occasionnent les surplus endémiques de production. Le gouvernement canadien a d’ailleurs pointé du doigt ce problème structurel de surplus, et a affirmé que les Canadiens en aucun cas ne contribuent à ce problème et que l’ouverture du marché canadien à ces surplus n’est pas non plus une solution. La réponse canadienne est une excellente stratégie, car elle ramène le débat aux États-Unis.
Les déclarations intempestives du nouveau président Trump ont certes un grand effet (positif ou négatif) pour ceux qui se sentent concernés, mais leurs effets sur les autres gens plus ou moins concernés sont beaucoup moins sûrs. De plus les gens et les médias risquent rapidement de s’habituer à cette rhétorique théâtrale du Président Trump. Dans le cas du lait c’est un sujet plutôt spécialisé, quelque peu difficile à cerner pour la plupart des Américains. La déclaration du président américain a certes fait plaisir à une certaine clientèle, notamment à Paul Ryan représentant du 1er district du Wisconsin, membre du parti républicain et président de la chambre des représentants des États-Unis. Paul Ryan est un membre influent de la droite républicaine, partisan d’un libéralisme économique et pourfendeur depuis longtemps des politiques «socialistes canadiennes», dont la gestion de l’offre. Quand on sait qu’actuellement le président Trump, malgré une majorité républicaine à la chambre des représentants et au sénat, a de la difficulté à faire passer ses réformes, ses déclarations contre l’ALENA et contre la gestion de l’offre sont peut-être plus une manœuvre à des fins de politique interne qu’à une réelle volonté de s’attaquer à celle-ci.
En s’attaquant ainsi aux « injustes pratiques des producteurs de lait canadien », le président Trump a aussi alimenté un débat important au sein de la classe agricole américaine. Beaucoup se posent de sérieuses questions sur ce libéralisme économique qui engendre des surplus de lait année après année. Plusieurs prônent un contrôle de l’offre, le débat dans les assemblées de producteurs de lait de l’autre côté de la frontière est assez vif entre les partisans d’un contrôle de l’offre et ceux du libéralisme. Pour les partisans d’une gestion de l’offre du lait aux États-Unis, l’exportation du lait au Canada ne réglerait rien, la seule chose que l’on ferait c’est d’exporter les problèmes au Canada.
Les déclarations de Trump ont permis, d’une façon très diplomatique, au premier ministre canadien de rappeler publiquement au citoyen américain qu’ils ont un problème de surplus de production, et que la gestion de l’offre canadienne n’en est pas responsable. On est loin de l’invasion de produits Made in China. Une déclaration qui en temps normal aurait été dénoncée comme de l’ingérence canadienne dans les affaires américaines, mais qui dans un contexte de réponse à une attaque virulente a été perçue comme une défense justifiée et posée. Une stratégie beaucoup moins spectaculaire que les déclarations du président Trump, mais qui est peut-être tout aussi efficace pour défendre nos intérêts.