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De quelle crise parlons-nous au juste ?

 

La crise du lait a connu un retour spectaculaire dans l’actualité, avec le geste subversif de Michel Fabry. Il fait ressortir plein de travers au sein du syndicat qui représente les producteurs agricoles. La crise de confiance envers l’UPA est plus profonde et étendue que ne veuillent bien l’admettre ses dirigeants.  Ce fossé des perceptions est d’autant plus grave qu’il méprise la crise sociale qui est en marche en agriculture. 

Le déversement de purin portait un message politique qui ne semble pas avoir atteint les étages de la Maison de l’UPA. La déception du producteur laitier est d’autant plus profonde que personne au sein des Producteurs de lait du Québec (PLQ) et de la confédération de l’UPA n’a cherché le dialogue avec celui qu’ils ont préféré reléguer au rang du loup solitaire frustré.  

Pourtant…

Faut connaître le moindrement le milieu agricole pour comprendre que le discours tenu par la haute direction de l’UPA s’appuyait sur une lecture erronée des multiples crises qui se vivent actuellement en agriculture. Et qui risquent de s’accentuer.

Crise financière

Il suffit de sillonner les routes de campagne du Québec pour comprendre que la question que soulève Michel Fabry est bien réelle. Qu’adviendra-t-il de notre territoire si les jeunes ne sont plus capables de former des familles agricoles confiantes d’y trouver un milieu de vie stimulant et enrichissant ?  Stimulant par le dynamisme des activités et services agricoles offerts, enrichissant par des revenus décents, qui donnent le goût d’entretenir les acquis, d’innover, de s’impliquer dans les organisations agricoles, dans la communauté.  Le goût de passer des transactions de vente entre voisins, de faire des affaires localement dans des entreprises connexes.

C’est bien beau dire qu’il faut suivre l’évolution des marchés, mais quand ceux-ci sont entre les mains des investisseurs plus que des agriculteurs, il y a péril en la demeure.

Comment expliquer que ce soit majoritairement  les jeunes de la relève laitière qui aient lancé l’alerte il y a deux ans, à propos du lait diafiltré, alors que leurs leaders qualifiaient avec mépris ce mouvement de contestation, avant d’embarquer pour ne pas perdre la face? Les jeunes producteurs laitiers parlaient de l’argent qu’ils perdaient. Et ils avaient raison.  Ça se chiffrait en milliers de dollars par mois par ferme.

Un calcul facile à comprendre pour quelqu’un qui vient de se lancer en affaires.

Crise de confiance

Graduellement la crise financière vécue en solidarité leur a permis de constater que leurs dirigeants syndicaux, ceux sensés les informer adéquatement, ceux censés défendre bec et ongles leurs droits et revenus, en ont échappé pas une, mais plusieurs.

Qu’est-ce qui fait que ce soit les producteurs de l’Ontario qui aient pris le problème du lait diafiltré à bras le corps pour le régler ? Où étaient les dirigeants des PLQ à ce moment-là ? Comment se documentaient-ils ? Comment analysaient-ils la situation ? Quelle place tenaient-il lors des discussions avec les transformateurs?

À trop vouloir estimer qu’eux seuls pouvaient bien comprendre la situation, les dirigeants des PLQ ont perdu la confiance de leurs membres.

Ils sont plusieurs à croire, comme Michel Fabry, qu’il y a un terrible manque de compétence parmi ces dirigeants.  

Pour stopper l’hémorragie, il faudra plus que des discours rassurants. Il faudra du sang neuf. C’est la base de la reprise de confiance.

 

Crise sociale

C’est là que le bât blesse. Pour laisser place à du sang neuf, il faut des membres qui aient le goût de s’impliquer. Or, plusieurs producteurs de lait ne croient plus dans leur syndicat de base, dont les règles de fonctionnement révisées ont la puissance de maintenir le statu quo.

Ce n’est pas moi qui le dit, mais eux. À chaque fois que je parle à un producteur, laitier ou autre, ce dernier se désespère de voir aller les choses.  Plusieurs ne trouvent plus grand avantage à y débattre de leur vision de l’agriculture.  S’ils ne disent pas comme les dirigeants, ils ne seront pas élus ou s’ils le sont, ils se buteront à des portes fermées à d’autres étages.

Quand on est rendu à ne plus vouloir débattre du fonctionnement de sa profession, de la passion qui vous anime dans ce boulot exigeant, il y a crise sociale à l’horizon.

Pourquoi ? Parce que ce désengagement traîne un désintérêt pour les valeurs communautaires et de solidarité.  Un désintérêt qui gruge la qualité d’un milieu de vie d’un territoire, lentement, mais sûrement.

Il en vient qu’à un moment donné, tout calcul bien fait, on se dit que vendre sa terre à gros prix, vendre son quota à un gars qui veut gérer une mégaferme, c’est probablement la meilleure chose à faire.

Avec comme conséquence que d’ici une vingtaine d’années, on trouvera des campagnes plus capables d’accueillir des équipements monstres plutôt que de jeunes familles agricoles.

Dans un monde où les crises environnementales se multiplieront, ça n’a rien de rassurant en termes de souveraineté et de sécurité alimentaires.

 

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