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«Les quotas, qu’ossa donne?»

Le 23 novembre dernier, grâce à l’aide financière du réseau Agriconseils Laurentides et de La Coop des Fermes du Nord (Unimat), la Fédération UPA Outaouais-Laurentides invitait le grand public à venir entendre le professeur Maurice Doyon répondre à la question : « Quotas : problème ou solution pour une agriculture durable? ».

Ce soir-là, je m’attendais évidemment à entendre dire plus de bien que de mal de la gestion de l’offre, mais je n’avais quand même pas prévu assister à une charge à fond de train contre ceux qui remettent en question, en tout ou en partie, cette façon de faire exclusivement canadienne.

Une bonne partie de l’argumentaire de monsieur Doyon reposait sur le dos de ces pauvres Américains qui, n’ayant pas de système de gestion de l’offre pour les protéger, ne savent guère faire mieux que d’attendre que leur voisin fasse faillite ou alors que d’aller se pendre dans leur grange. Souvent d’ailleurs, faute de pouvoir vraiment nous convaincre des avantages concrets de la gestion de l’offre dont on bénéficie ici, on nous a donné des exemples du calvaire que vivent les gens là-bas PARCE QU’ils n’en ont pas. Réalité ou sophisme? Je penche pour la seconde hypothèse.

Notre bon docteur sait-il seulement qu’il existe autant de réalités agricoles qu’il y a d’États américains? Bien sûr, il y a la méga-industrie, mais il y a aussi une agriculture paysanne rentable où 1000 poulets sont abattus et vendus librement à la ferme, où le lait cru, provenant d’une demi-douzaine de vaches traient à la main, est vendu entier et entièrement à la ferme. 

Le professeur de l’Université Laval nous parle des États-Unis qui voient la majorité de leurs œufs produits par une centaine de grands producteurs, exactement comme au Québec, mais semble exclure de ce calcul tous les petits producteurs d’œufs qui, contrairement à ce qu’on voit au Québec, garnissent les rayons des petites épiceries américaines d’une myriade d’aliments distincts, produits par des troupeaux de 200, 400, 1000 et 2000 poules pondeuses. Du jamais vu ici.

D’emblée, on nous a bien prévenus qu’on n’entrerait pas dans les détails, mais de ne pas avoir parlé une seconde de la monétisation, de l’accessibilité et du prix des quotas m’a tout de même semblé un raccourci pratique pour rester dans l’unilatéralement positif; le diable EST dans les détails. 

L’avenir, nous a-t-on dit, réside dans l’économie comportementale qui étudie la façon d’agir des êtres humains dans des situations économiques diverses. Mais que fait-on du comportement des humains qui réclament le droit de produire des aliments de manière artisanale et des consommateurs qui réclament le droit de les acheter? N’est-ce pas là une situation économique contemporaine qui mérite aussi qu’on l’étudie?

Essentiellement axé sur la production laitière, le plaidoyer du docteur Doyon en faveur de la gestion de l’offre avait nettement des allures de propagande.

Comme je l’ai noté pendant la conférence, puis répété à Amélie à mon retour, j’espère que mon discours n’a pas l’air aussi partial que le sien lorsque je m’adresse au public. C’est vrai, je prêche aussi ardemment que lui pour ma paroisse, mais alors que ma seule prétention est de témoigner honnêtement de ma réalité, je m’attendais de la part d’un universitaire qui collabore avec des instituts, des centres et des chaires de recherche qu’il nous donne l’heure juste sans chercher à orienter nos conclusions. Or, c’est tout le contraire qui s’est produit : on m’a assuré que la gestion de l’offre, et donc le système de quotas, encourageait une saine diversité dans la taille des fermes, soutenait la vitalité de nos régions en encourageant la vente de machinerie agricole et de produits de nutrition animale, garantissait un revenu convenable aux producteurs, bref on n’a eu de cesse de vanter la nécessité et la légitimité de cette gestion de l’offre qui n’existe pourtant qu’au Canada. Étrange quand même que nous soyons les seuls à avoir trouvé cette solution.

Je ne propose pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, la gestion de l’offre répond à certaines attentes populaires, mais il y a une différence entre se protéger des menaces internationales comme le dumping et interdire l’élevage artisanal de quelques vaches, poules et poulets. Il y a aussi une différence entre la régulation de l’offre de grands producteurs de produits génériques à bon marché et l’annihilation de la paysannerie marchande et de ses savoir-faire. 

La gestion de l’offre est plus qu’imparfaite, elle porte préjudice à une néo-agriculture paysanne qui pourrait se révéler salvatrice en cette époque incertaine.

Mais là où la sauce s’est vraiment gâtée pour moi, c’est pendant la période de questions. L’éléphant dans la pièce, l’hégémonie de l’Union, transparaissait dans beaucoup des questions posées. Aux producteurs qui demandaient quoi répondre à cette agaçante cohorte de néo-agriculteurs artisanaux qui réclament leur petite place au soleil, le conférencier a répondu quelque chose du genre : « Il y a un an, on leur répondait que c’était comme ça. Maintenant, ça ne passe plus. Alors on répond que ça change tranquillement. »

À un jeune agriculteur de grandes cultures qui soulignait que ça lui semblait impossible de payer un million et quart de quotas laitiers pour ajouter le lait d’une cinquantaine de vaches à sa production de légumes, on a répondu que c’était bien malheureux pour lui, mais qu’on n’avait aucune raison de le prendre en pitié, puisque c’était ça que ça valait… Pour couronner le tout, on a comparé son malheur à celui d’un individu envieux qui voudrait posséder une entreprise de portes et fenêtres valant 12 millions de dollars sans en avoir les moyens. La solution était évidemment qu’il oublie son rêve jusqu’à ce qu’il ait accumulé la somme requise. Voilà donc la terrible morale de l’histoire : il ne faut pas avoir envie, au Québec, d’une agriculture à laquelle on n’a pas les moyens d’accéder. 

J’aurais bien aimé avoir une réponse claire à ma question sur le salaire horaire moyen auquel peuvent s’attendre ces producteurs au bord de la crise de nerfs à qui on garantit, en théorie, un juste prix d’achat calculé en fonction des coûts réels de production. C’est bien ça l’idée derrière la gestion de l’offre, non? En lieu et place, la réponse qui baignait dans un flou artistique s’est faite en deux temps : d’abord, on m’a dit que c’était très difficile à évaluer parce qu’il faudrait inclure, dans le calcul du taux horaire, la valeur de l’entreprise (bâtisse et quotas) qu’on récupère en « sortant » (!?). « En sortant » voulant vraisemblablement dire lorsqu’on arrive à vendre sa ferme et, surtout, ses quotas. Ensuite, que de toute façon c’était pire ailleurs (!?). À preuve, les réponses reçues à l’occasion d’une recherche comparative entre les fermes laitières de l’Upstate New York et celles de leurs voisines ontariennes. Du côté américain, on a reçu des réponses comme : « Le mois passé mon voisin s’est pendu dans sa grange. », « Je n’ai pas d’argent pour envoyer mes enfants à l’école. », « Si je tombe malade, je ne sais pas ce que je vais faire. » alors que du côté ontarien, même si les réponses n’étaient pas « hyper jojo », il n’y avait pas de « signes de détresse » et la situation semblait relativement « correcte ».

Monsieur Doyon, lui-même fils de producteur laitier, a conclu que le métier de producteur laitier était très difficile, mais que « quand on se compare, on se console », puisqu’on est capables de s’en sortir, de gagner sa vie et éventuellement de profiter de la vente de sa ferme et de ses quotas.

Prions donc pour que le prix des quotas ne tombe pas; le cas échéant, ça ferait beaucoup de monde qui se demanderait «La gestion de l'offre, qu'ossa donne?».

Dominic Lamontagne, auteur de La ferme impossible et parrain de l’Institut Jean-Garon

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