Au moment où le libre-échange est plus que jamais présenté comme le bien suprême face au mal suprême incarné par Donald Trump et son protectionnisme primaire, la lecture du dernier ouvrage de Simon-Pierre Savard-Tremblay remet les pendules à l’heure.
L’auteur de « Despotisme sans frontières »[1], ou les ravages du nouveau libre-échange, démolit en 130 pages bien tassées le mythe dominant d’une mondialisation irréversible et synonyme de progrès de l’humanité.
Au contraire, Savard-Tremblay présente la marche enclenchée au lendemain de la seconde guerre mondiale vers un monde sans frontières, donc sans nation, au nom de la liberté de commercer et de faire toujours plus de profit, comme la plus grande menace de l’histoire à cette même humanité. Quand tout devient marchandise, même la pensée, que reste-t-il en effet de cette humanité?
Un des grands mérites de l’ouvrage est de faire l’histoire de l’édification de ce mythe depuis les accords de Bretton Woods, en 1944, jusqu’à l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Europe de 2016. Il n’y a eu rien de moins démocratique que cette édification menée par des experts, dans le plus grand secret, convaincus qu’ils sont que le peuple est incompétent, même dangereux, en ces matières.
Sans parler de complot, l’auteur décrit la grande convergence d’idées et d’intérêts, financiers, politiques et médiatiques, qui, au fil des dernières décennies, de façon plus forte que jamais auparavant dans l’histoire, a « façonné » un être humain réduit à son simple rôle de consommateur. Le triste résultat est, qu’aujourd’hui, des milliards d’êtres humains n’aspirent pas à plus de liberté ou à un meilleur environnement mais à consommer toujours plus.
En même temps, cette belle mécanique est grippée. Le dernier grand cycle de négociations multilatérales, celui de Doha, a échoué au début du siècle sur l’écueil des enjeux agricoles, la dernière poche de résistance des états-nations au nom de leur sécurité alimentaire. La grande mondialisation voulue par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est devenue alors la petite mondialisation à coup d’accords bilatéraux ou régionaux comme l’ALÉNA. Elle est tout aussi antidémocratique, liberticide et déshumanisante, estime Savard-Tremblay.
Il y a aussi tous ces millions de perdants de la mondialisation qui ont relevé la tête et qui, à travers l’élection de Trump, le Brexit et la montée des partis anti-européens, ont secoué la belle assurance des bien-pensants de la mondialisation. En dénonçant l’arrogance et le mépris de ces bien-pensants à l’endroit de ce « petit peuple », Savard-Tremblay n’hésite pas à s’engager sur la glace mince d’une défense du populisme, pas à la Trump, mais dans le sens noble de la promotion d’un gouvernement « du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Jean Garon n’aurait pas été contre.
Précision importante : la mondialisation telle que la raconte Savard-Tremblay n’est pas un mal en soi. Son histoire est ponctuée d’occasions ratées d’en faire autre chose que ce qu’elle est aujourd’hui, notamment cette Convention de La Havane de 1948, refusée par les américains, où le commerce international était subordonné à des objectifs plus nobles que le simple profit, tels que le droit au travail, l’amélioration de la qualité de vie des peuples et la protection des secteurs jugés essentiels comme l’agriculture. Il est quand même ironique que le nouveau Partenariat transpacifique dit progressif, que vient de signer le Canada, s’inspire de ces mêmes valeurs, 70 ans plus tard !
Le procès de la mondialisation est implacable et bien mené. Mais où est la porte de sortie? Selon l’auteur, elle existe et elle s’appelle la démondialisation, une démondialisation qui passe par la revalorisation des états-nations et des frontières. Cette démarche est enclenchée et elle s’appuie sur la pensée d’auteurs que Savard-Tremblay nous présente trop brièvement à la fin de son ouvrage. Espérons que cela fera l’objet d’une suite à ce petit livre extrêmement instructif et pertinent à l’heure du nouveau libre-échange.
[1] Despotisme sans frontières – VLB éditeur 2018 – 132 pages