Sylvain Charlebois était le 19 février dernier au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Le texte qu’il a présenté était en anglais sauf la conclusion en français. La Vie agricole vous propose l’intégralité du texte lu par le Dr Charlebois au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
«Bonsoir,
Madame la présidente, honorables membres du comité, chers invités, je me sens honoré et privilégié d'être de retour pour vous parler de l'avenir de nos politiques agricoles, et plus précisément de l'avenir de notre secteur laitier. Lors de mes remarques liminaires, je compte aborder quatre questions spécifiques: la portée d’une nouvelle réforme, la ferme laitière optimale, la transformation et l’innovation, et enfin la gouvernance.
Tout d'abord, il est important de reconnaître que les producteurs laitiers sont des entrepreneurs résilients. Ils sont fiers, mais ils reconnaissent également que leur environnement macroéconomique évolue rapidement. Beaucoup voient à quel point les limites actuelles de notre système deviennent un défi pour notre économie ouverte. Après avoir parlé à beaucoup d'entre eux, une chose est devenue tout à fait claire. Toute solution doit être durable et ne doit pas être considérée comme une compensation avec une vision à court terme du secteur.
Pour maintenir un niveau raisonnable de production nationale dans notre pays, en particulier dans les régions mal desservies comme l’Atlantique, les Prairies et le Nord, il est essentiel de maintenir les fermes laitières en activité partout au pays, et pas seulement au Québec et en Ontario.
Mais à ce rythme, en raison de notre manque de compétitivité, nous pourrions perdre la moitié des 11 000 fermes laitières qu'il nous reste d'ici 2030, même si le système reste fondamentalement inchangé. Mais depuis une vingtaine d’années environ, cette situation est très prévisible, alors que les accords commerciaux récents ne feront qu’accélérer le processus d’érosion de l’influence économique du secteur.
Deuxièmement, une réforme devrait définir à quoi devrait ressembler la ferme laitière optimale. D'après plusieurs études, dans le secteur céréalier, la taille optimale d'une ferme canadienne, compte tenu de notre climat, est d'environ 3 000 acres. Moins que cela, et les familles doivent chercher un revenu secondaire en travaillant hors de la ferme. L’opération peut compter sur des économies d’échelle et une efficacité accrue. En ce qui concerne les produits laitiers, la taille moyenne actuelle d'une ferme est inférieure à la moyenne mondiale (annexe A). La figure de l'annexe B est issue d'une étude fondamentale de Hemme et al. (2014) et montre à quel point notre secteur laitier est peu compétitif par rapport à d'autres pays. Les coûts de production de lait les plus élevés au monde ont été constatés dans la ferme suisse à 23 vaches (97,27 US $ / 100 kg ECM), suivie de la ferme canadienne à 58 vaches (72,84 US $ – 100 kg ECM), tandis que le coût le plus bas a été observé en La ferme arménienne de 15 vaches (16,91 US $ / 100 kg).
Un modèle optimal pour le Canada devrait prendre en compte de nombreux facteurs. Sur la base des résultats de cette étude, il peut être conclu que les coûts d'alimentation, les coûts de main-d'œuvre, les coûts d'opportunité pour les facteurs de production et les coûts de quota sont extrêmement pertinents lors de l'examen des stratégies de réduction des coûts. Compte tenu de la volatilité du marché mondial des produits laitiers, un modèle «canadien» devrait établir un équilibre approprié entre les coûts des quotas et les coûts d'opportunité, tout en tenant compte de notre climat nordique.
Mon troisième point concerne la transformation et l'innovation. Un des principaux problèmes du système de gestion de l’offre est qu’il n’a traditionnellement pas permis la diversité des produits. Les nouveaux produits innovants qui utilisent des produits laitiers ont été un problème dans notre pays. Nous avons mis au point de nouveaux produits, mais uniquement pour nous-mêmes et non pour le reste du monde. Tout nouveau modèle devrait mieux soutenir notre industrie de transformation des produits laitiers, ce qui permettrait un plus grand nombre d’innovations et de marchés afin que le lait et les produits laitiers canadiens de haute qualité puissent être présentés dans le monde entier.
Pour le moment, nous avions besoin de Fairlife, une marque appartenant à Coca Cola, pour nous montrer comment innover. Fairlife aurait dû être la nôtre. En créant ce groupe de travail, les experts de l’industrie peuvent travailler ensemble pour concevoir et proposer des solutions pratiques et durables susceptibles d’aider nos producteurs laitiers, nos transformateurs et nos épiciers, et de veiller à ce que notre industrie laitière reste forte pour l’avenir.
Finalement, j’aimerais discuter des groupes d’intérêts et des producteurs, la gouvernance du secteur. Je vous supplie de porter votre attention aux producteurs laitiers eux-mêmes et de leur offrir une chance de s’exprimer eux-mêmes, et non aux groupes de lobbyistes qui tentent de représenter les intérêts des producteurs.
Ces groupes sont devenus, avec les années, des machines politiques qui défendent à tout prix le système actuel, malgré ses défauts. Mais c’est en conversant avec les producteurs que l’on s’aperçoit à quel point certains de leurs propos ne reflètent en aucun temps la réalité des producteurs agricoles. Il serait important pour ce comité d’entendre aussi ceux qui font le travail sur le terrain, et non seulement ceux qui défendent un système qui visiblement est en train de nous mener vers a cul-de-sac économique.
Merci».