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L’agronome Richard Lauzier est décédé le 30 avril dernier à l’âge de 67 ans.

En plus d’être fonctionnaire du ministère de l’agriculture du Québec (MAPAQ) : Richard Lauzier a été l’un des principaux artisans du travail de recherche, de conscientisation et d’action sur le terrain en matière de protection de la qualité de l’eau de la baie Missisquoi et de ses affluents. En tant qu’agronome, il a rapidement compris qu’il fallait, au-delà des exigences de son travail d’employé de l’État, travailler auprès des agriculteurs pour transformer les mentalités et contribuer à trouver les moyens qui pourraient permettre d’éviter la catastrophe. Son dernier écrit en 2019 disait ceci: « Je crois en tout, rien n’est sacré. Je ne crois en rien, tout est sacré. »

Au moment de sa retraite en 2014 il écrivait dans le journal local le Saint-Armand,

«(…) C’est avec humilité que je couche sur papier la petite histoire de mon passage au bureau du MAPAQ de Bedford, en espérant ne pas vous ennuyer. J’ai terminé mon bac en agronomie en 1978, à l’Université Laval à Québec. J’avais auparavant complété un bac en économie, puis j’ai réalisé que travailler dans les chiffres à longueur de journée, ce n’était pas pour moi.

Mon premier véritable emploi a été comme agent évaluateur pour la Régie de l’assurance-récolte du Québec, un organisme paragouvernemental qui existait à cette époque. Le travail était varié : rencontrer porte à porte des agriculteurs, leur expliquer les modalités de l’assurance-récolte, procéder à leur adhésion et, durant la saison suivante, faire le suivi des récoltes, mesurer les pertes, monter les dossiers d’indemnités. C’était l’époque où l’on exigeait une grande adaptabilité, on pouvait vous changer de région à chaque année, le statut d’emploi était contractuel et il y avait peu de bénéfices marginaux.

J’ai quitté cet emploi au bout d’un an et demi pour aller démarrer une ferme coopérative de production de fines herbes et épices au lac Saint-Jean. (…)

C’est début janvier 1995 que j’ai commencé à travailler au bureau local du MAPAQ : j’étais en territoire connu, autant du point de vue géographique qu’humain. Le bureau de Bedford fait partie intégrante de la petite histoire agricole du comté de Brome- Missisquoi, avec une quinzaine d’employés à l’époque où le MAPAQ s’occupait encore de la gestion et de l’aménagement des cours d’eau agricoles, en plus de ses nombreux autres champs d’intervention. Quand je suis entré en fonction, le bureau local était situé en plein centre-ville de Bedford, sur la rue Du Pont, face au beau vieil édifice des avocats Paradis. Les choses avaient déjà commencé à changer et l’équipe ne comptait plus que six personnes.

(…) Les choses avaient déjà commencé à changer : le MAPAQ avait délaissé la responsabilité des cours d’eau ainsi que d’autres secteurs comme les laboratoires d’analyses de sol, qu’il gérait jusqu’alors mais qui étaient déjà privatisés. Il avait renoncé graduellement à ses fermes expérimentales et un mouvement de réduction de la fonction publique commençait à se mettre en place. La réingénierie de l’État de M. Charest, ça vous rappelle quelque chose ?

(…) En 2006, je suis allé à Québec en compagnie de mon patron d’alors, le directeur régional de la région Montérégie- Est, afin de rencontrer deux sous-ministres à qui j’ai présenté ma vision, proposant la mise en place d’un système global de protection des cours d’eau, soit une bande tampon de culture pérenne du début à la fin des cours d’eau d’une largeur suffisante pour être récoltable, le tout complété par une série d’ouvrages de contrôle du ruissellement en surface qui permettrait l’évacuation de cette eau en douceur et, surtout, le passage de la machinerie agricole d’un champ à l’autre, d’une terre à l’autre. Cette idée était plutôt révolutionnaire sous plusieurs aspects, notamment en ce qui concerne la notion de passage d’une terre à l’autre, les agriculteurs étant habitués à faire chacun leur petite affaire chez eux.

Enfin, l’idée a été jugée suffisamment intéressante pour que j’obtienne la promesse d’examiner les façons de trouver du financement pour essayer la formule. Environ six mois plus tard, le central nous contactait pour nous proposer de l’expérimenter sur cinq cours d’eau de la section agricole intensive, avec la Coopérative de Solidarité du bassin versant de la rivière aux Brochets comme porteur du projet et un financement majoritairement fédéral via un programme pancanadien permettant de réaliser des projets pilotes qui avaient pour fonction d’alimenter la réflexion des décideurs politiques lors de la conception de futures politiques agricoles.

Le projet devait durer deux ans et un travail titanesque nous attendait : rencontrer les agriculteurs pour leur en expliquer la nature et obtenir leur adhésion, passer à travers les exigences administratives de tous genres, études d’impacts environnementaux préalables et permis divers, réalisation des ouvrages mécanisés nécessaires, préparation des terres à semer, etc. Ce furent deux années très intensives mais enrichissantes, stressantes mais satisfaisantes, animés que nous étions par le sentiment de réaliser quelque chose de bien pour l’agriculture et la société en général.

À la suite du projet, mon espoir était que les gouvernements perpétuent et étendent cette approche, mais j’ai été déçu. J’ai présenté les résultats à un forum national à Ottawa, mais ensuite ce fut le silence radio. Il semble que, en haut lieu, on préfère essayer de réparer a posteriori plutôt que de prévenir en amont.

(…) Je pars cependant avec une préoccupation personnelle que je veux partager : la maîtrise de l’agriculture par les géants de l’agrobusiness, les quelques multinationales qui ont commencé à jouer à l’apprenti-sorcier avec les plantes en manipulant les bases de la vie, les gènes. (…) Quel sera l’effet à long terme ?

(…) Ces compagnies ont introduit leurs organismes génétiquement modifiés en prétendant qu’ils allaient contribuer à contrer la faim dans le monde. Je n’en crois pas un mot : la faim dans le monde ne vient pas d’un problème de production de nourriture, mais de la mauvaise distribution de la richesse à laquelle l’humanité est confrontée et le fondement de la stratégie des grandes compagnies semencières est de rendre les agriculteurs dépendants de leurs produits.

 

 

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