Par MARC DION, ancien sous-ministre au MAPAQ
Du syndicaliste au ministre
Laurent Barré et les agronomes Noé Ponton et Firmin Létourneau font partie des initiateurs de l’UCC (UPA). Barré y est élu le premier président en 1924. Ces trois personnes d’allégeance conservatrice et qui ont été à l’origine du Mouvement des Fermiers unis sont accusées par le ministre libéral Joseph-Édouard Caron de faire de la politique avec l’UCC par le biais du Bulletin des agriculteurs propriété de Ponton. Lors du second congrès de l’UCC en 1926, la reconnaissance de l’Église devient un enjeu. Le primat de l’Église catholique, Mgr. Rouleau demande que l’UCC prenne ses distances avec la politique et le Bulletin. Ponton annonce la rupture entre le Bulletin et l’UCC alors que Barré démissionne de la présidence. Avec la complicité de l’Église, Caron a gagné ce “bras de fer” contre Barré et ses amis.
Dix-huit ans plus tard et pour les seize années suivantes (1944-1960), Laurent Barré a sa revanche sur les libéraux puisqu’il est le ministre de l’Agriculture sous Maurice Duplessis. « Un cultivateur-ministre, c’était (…) une surprenante tactique du chef de l’État destinée à amadouer le vote rural. Comment ce cultivateur va-t-il se tirer d’affaire, muni d’un simple cours d’études primaires, disait-on[1]? » Barré est reconnu comme un orateur hors pair, un autodidacte et un lecteur acharné, ses atouts personnels le serviront dans l’exercice de ses mandats.
De la lampe à l’huile à la lampe électrique
Laurent Barré est un supporteur de longue date du projet d’électrification rurale. Peu après l’élection de 1944, le gouvernement adopte la Loi pour favoriser l’électrification rurale par l’entremise des coopératives et crée un fonds de 12 millions $. Plus favorable à l’économie de marché, le gouvernement ne s’implique pas dans les territoires rentables pour le secteur privé. «Moins interventionniste que son prédécesseur Adélard Godbout (…) Duplessis préfère laisser aux communautés locales le soin d’électrifier les régions les moins densément peuplées du Québec[2]». «En 1944 (…) 15 % seulement des foyers ruraux étaient reliés au réseau d’électricité; en juin 1956, la proportion avait grimpé à plus de 80 %. (…) On déclarait qu’un vote pour l’Union nationale est un vote pour la lampe électrique tandis qu’un vote pour les libéraux, c’est un vote pour la lampe à l’huile[3]». Cependant, dans les faits on estime que les changements socioéconomiques de l’après-guerre contribuent à l’électrification des campagnes.
Avant internet, l’électrification rurale est sans doute avec le tracteur l’une des plus importantes innovations à entrer sur les fermes au XXe siècle. Celle-ci modifie radicalement le mode de vie et les pratiques. L’électricité devient un formidable outil de développement économique. Les agriculteurs ont accès à l’information par la radio. Ils peuvent utiliser de nouveaux équipements pour agrandir et spécialiser leur entreprise dans une production commerciale et ainsi assurer une présence plus significative sur les marchés des villes qui se déploient rapidement.
La mise en marché collective
En 1953, le gouvernement confie au juge Georges-H. Héon le mandat « d’étudier les problèmes relatifs à la production, vente, distribution des produits agricoles[4] ». Les deux recommandations phares du rapport Héon sont la création d’une Commission des marchés agricoles et une législation sur la commercialisation prévoyant les plans conjoints. En 1956, Laurent Barré fait adopter la Loi qui crée l’Office des marchés agricoles du Québec, un organisme de surveillance, de coordination et d’amélioration de la mise en marché des produits agricoles. En plus du lait nature déjà couvert par Adélard Godbout depuis 1934[5], cette loi réclamée par l’UCC ouvre la porte à la mise en œuvre de plans conjoints de mise en marché dans d’autres secteurs.
La modernisation et le retard
Au cours des mandats de Barré, la structure de la ferme se modernise. Le nombre d’exploitations agricoles plus familiales que commerciales diminue alors que celui des entreprises spécialisées orientées principalement vers le marché s’accroît. Après la guerre, la ferme traditionnelle devient décadente. La diffusion des connaissances s’accélère grâce au travail des enseignants, des agronomes et des médecins vétérinaires. Les sciences appliquées et la mécanisation entrent significativement sur les fermes. Le nombre de tracteurs et de moissonneuses-batteuses se multiplie. Parallèlement, le cheptel de chevaux diminue. Cependant, à la fin des mandats de Barré, la formation agricole est déficiente par rapport aux provinces voisines et l’agriculture d’ici n’est pas assez intensive, diversifiée et spécialisée. De ce point de vue le Québec accuse un retard.
L’intervention de l’État et le rattrapage
Les réalisations de Laurent Barré sont résolument tournées vers la modernisation. Il favorise les travaux mécanisés et le drainage des terres. Il contribue à la création du Centre d’insémination artificielle pour les bovins, à la construction d’écoles en agriculture et au déménagement de l’École de médecine vétérinaire d’Oka dans les anciennes casernes de la marine à Saint-Hyacinthe (1947). Bien que le premier ministre Duplessis est généralement réfractaire à l’intervention de l’État dans l’économie, « le gouvernement québécois bâtit un appareil d’intervention en agriculture sans aucune commune mesure avec ce qui existe dans les autres provinces[6] ». Les distorsions de la carte électorale favorisent la population rurale et l’Union nationale compte sur les cultivateurs pour gagner les élections. En dépit de l’étiquette de la Grande Noirceur attribuée, à tort ou à raison, à la période du gouvernement de Duplessis, l’électrification rurale, la mise en marché collective et plusieurs interventions de l’État permettent à Laurent Barré de donner à l’agriculture un élan au rattrapage.
Après les initiatives de quelques ministres, après la transformation structurelle de la ferme, et grâce à l’esprit d’entreprise des agricultrices et des agriculteurs, le cultivateur devient progressivement un entrepreneur agricole. Après 1960, ce rattrapage nécessitera quelques décennies.
[1]Jean-Charles Magnan, Souvenirs Fleurs et chardon…, cité par Gilles Bachand, Société d’histoire et de généalogie des Quatre Lieux.
[2] http://www.hydroquebec.com/histoire-electricite-au-quebec/chronologie/premieres-reussites-hydro-quebec.html
[3] Black Conrad, Maurice Duplessis, Les éditions de l’homme, Montréal, 1999, p.292.
[4] Comité d’enquête pour la protection des Agriculteurs et des Consommateurs, 1955, 455 p.
[5] Adélard Godbout avait adopté une loi sur la mise en marché collective et créé la Commission du lait de consommation.
[5] Michel Morisset, coll. Jean-Michel Couture, Politique et syndicalisme agricoles au Québec, PUL, 2010, P.15.
[1]Jean-Charles Magnan, Souvenirs Fleurs et chardon…, cité par Gilles Bachand, Société d’histoire et de généalogie des Quatre Lieux.
[2] http://www.hydroquebec.com/histoire-electricite-au-quebec/chronologie/premieres-reussites-hydro-quebec.html
[3] Black Conrad, Maurice Duplessis, Les éditions de l’homme, Montréal, 1999, p.292.
[4] Comité d’enquête pour la protection des Agriculteurs et des Consommateurs, 1955, 455 p.
[5] Adélard Godbout avait adopté une loi sur la mise en marché collective et créé la Commission du lait de consommation.
[6] Michel Morisset, coll. Jean-Michel Couture, Politique et syndicalisme agricoles au Québec, PUL, 2010, P.15.