Originaire de la Normandie, région de prédilection en France pour le monde du cheval, habitué aux hippodromes depuis mon enfance, je me suis récemment interrogé sur la situation du cheval de trot au Québec et des courses qui en découlent. Et il faut bien le dire la côte est assez dure à remonter même avec un pur-sang! Et pourtant le Québec historiquement depuis 1970 a su créer l’euphorie sur les hippodromes et promouvoir l’élevage québécois des chevaux de courses : Le standardbred (ou trotteur américain) est une race américaine très reconnue à travers le monde en trot et en amble attelé qui a été au cœur de l’élevage Québécois.
Parier sur des chevaux en France c’est une tradition. Aller aux hippodromes c’est aussi participer à des évènements familiaux et être en contact avec l’animal et le sport. Et un dimanche matin en Normandie commence souvent par un tiercé ou un quinté dans la bonne humeur. Enfant je suivais mon père au bar du coin pour jouer au PMU ( Paris Mutuel Urbain) qui était et est encore, et cela depuis 1891, une institution sociétale en France. Le PMU c’est simple, les parieurs jouent les uns contre les autres et se partagent les gains après prélèvements des profits de l’État.
En France au PMU, depuis 1999, on compte environ 6 millions de parieurs qui représentent à eux tous 1,1 milliard de tickets. Ces six millions de parieurs représentent 14 % de la population française de plus de 18 ans et parmi eux presque 2 millions d’entre eux jouent au moins une fois par semaine. Ce serait comme avoir 800 000 à 1 million de parieurs au Québec!
La presse spécialisée hippique est galopante dans l’hexagone : que ce soit par la création du quotidien Paris-Turf en 1972 par le journal l’Aurore puis le Tiercé Magazine ou les pages du journal Le Parisien, les courses de chevaux sont au centre du monde médiatique. Et au fil des années se sont ajoutées les chaînes de télévision spécialisées, dont Équidia qui fait le bonheur des passionnés de chevaux qui la suivent religieusement.
Pourquoi le Québec a-t-il laissé s’échapper cette manne ?
Que devient l’industrie du cheval de trot et des courses au Québec?
Les courses au Québec ont aidé spécifiquement à la présentation de courses de chevaux de race Standardbred d’élevage et/ou de propriété québécoise et ont été une excellente activité de plein air en famille jusqu’à ce que les choses se compliquent en 2009.
À cette époque André Pratte, chroniqueur à La Presse, depuis devenu sénateur canadien de 2016 à 2019, écrit : « L’industrie québécoise des courses n’est pas viable ( …) Attractions hippiques, l’entreprise, propriété du sénateur Paul Massicotte, s’est retrouvée au bord de la faillite. ( … ) Québec doit se résoudre à mettre fin à l’agonie.».
C’est cinglant et loin d’être de l’avis d’autres observateurs plus avertis sur le monde des courses. Maximilien Bradette, entraîneur de chevaux standardbred écrivait lui aussi en 2009 dans une lettre ouverte : « Je pense qu’il est grand temps de remettre les pendules à l’heure au sujet de l’industrie des courses de chevaux standardbred qui fut l’un des fleurons des réussites québécoises depuis plus de 100 ans. (…) Pendant que les jeunes de mon âge avaient comme idole Jean Béliveau et Guy Lafleur, les miennes étaient ces majestueuses bêtes qui, soir après soir, m’envoûtaient par leur courage et leur désir de vaincre (…) À cette époque, la mecque des courses en Amérique du Nord, c’était le Québec, le sanctuaire : Blue Bonnet.»
La cause de la chute est-elle politique ?
Maximilien Bradette identifie la dégringolade du monde du cheval de course avec l’arrivée massive dans les bars et les restaurants de la province de 15 000 Appareils de Loterie Vidéo (ALV). Comme il le dit, si Bernard Landry lorsqu’il était ministre des Finances avait tout compris «de la rentabilité et de la profitabilité pour les régions des courses de chevaux» ce fut loin d’être le cas avec l’arrivée du gouvernement suivant.
Sous la gouverne de Jean Charest a été créée une filiale à Loto-Québec ( la société des salons de jeux du Québec) avec laquelle «on a fait miroiter 1900 appareils de loterie vidéo dans un appel d’offres. On a nommé à sa tête un ami proche d’un soumissionnaire et le tour est joué».
Il accuse clairement Paul Massicotte d’avoir monté « un plan d’arrangement ( qui ) est un génocide de la race chevaline standardbred québécoise».
Une chose est sûre, l’industrie s’est déportée en Ontario où courent maintenant les meilleurs jockeys québécois et où se font les saillies fort payantes. Aurait-on perdu une force économique en plus d’une activité noble ?
Il faut aimer pour réussir
Dès 2010, Alain Vallières, alors président de l’ATAQ ( l’Association Trot et Amble du Québec) déclarait dans La Presse : « Si les courses de chevaux sont gérées par des gens qui connaissent bien le domaine et qui aiment les chevaux, plutôt que par un entrepreneur privé animé par le profit, leur succès sera assuré à long terme.»
À Radio-Canada, un an avant, en 2009, il s’insurgeait et trouvait « inacceptable que Québec veuille venir en aide à l’entreprise Attractions hippiques qui est au bord de la faillite» ( entreprise du sénateur Paul Massicotte alors en défaut de versement des bourses promises à l’industrie).
Qu’ont fait les politiques depuis 10 ans pour relancer ce secteur et ramener la vitalité économique qu’il représente au Québec, rien!
Pourtant en 2009, un député disait à Radio-Canada à propos de l’aide pressentie par le gouvernement Charest à la compagnie du sénateur Massicotte : « Ce scénario est totalement inacceptable. Donner des contributions à M.Massicotte en échange d’aucun emploi dans l’industrie des courses de chevaux. Là, on ne comprend pas. À part de sauver les fesses de M.Massicotte, on ne comprend pas l’objectif». Ce député était celui de Rousseau, nul autre que François Legault, aujourd’hui premier ministre du Québec!
Crédit Photo: Jockey Club