OPINION – Miroir Miroir, dis-moi qui est le plus beau… Ce passage bien connu tiré d’un conte fantaisiste s’applique directement à l’éditorial du président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Marcel Groleau, publié dans l’édition du 5 juin dernier de La Terre de chez nous. Son message témoigne d’une triste réalité : combien l’image qu’il perçoit de son organisation est détachée des besoins et des réalités vécues par les agriculteurs sur le terrain!
Je me propose donc de vous souligner pourquoi l’UPA dérange réellement et pourquoi des milliers d’agriculteurs demandent au gouvernement de mettre fin au monopole de représentation syndicale qui lui a été accordé il y a de cela plus de 40 ans.
L’UPA dérange réellement parce que c’est un monopole obligatoire. Elle seule possède le droit de représenter les producteurs agricoles auprès du gouvernement. L’histoire récente nous enseigne pourtant que la présence d’un seul parti politique à l’échelle d’une municipalité de taille moyenne peut entraîner bien des dérives. Tous les producteurs ont aussi l’obligation d’y cotiser. Aimeriez-vous comme citoyen avoir l’obligation de contribuer à un parti ou une organisation qui ne représente pas vos idées, ou pire encore, qui va contre vos intérêts?
L’UPA dérange réellement parce qu’elle préfère défendre ses intérêts corporatifs au détriment des besoins des producteurs. Comment expliquer qu’une de ses fédérations affiliées a maintenu pendant des années l’Agence de vente dans le secteur du blé de consommation humaine et défendu celle-ci dans le cadre du référendum auprès des producteurs, alors que les producteurs l’ont rejeté sans équivoque à 83 %? Étrange aussi de constater que depuis la fin de l’Agence, la production de blé est en hausse au Québec et que cela va directement dans la ligne de pensée de la Politique de souveraineté alimentaire.
Bien sûr l’UPA s’occupe des affaires des producteurs… Elle contrôlait la vente de blé de consommation humaine par l’Agence de vente, si bien que les producteurs devaient rendre leur blé disponible sans en connaître les conditions de vente et de paiement. Elle obligeait les producteurs de bovins à vendre leurs animaux à l’abattoir Lévinoff-Colbex qu’elle avait acheté à grands frais au moyen de prélevés des producteurs et de subventions gouvernementales. Malgré cela, l’abattoir a fait faillite. L’UPA est même allée plus loin en proposant au gouvernement de contrôler le patrimoine des producteurs en créant une nouvelle société d’État chargée d’intervenir dans les ventes de terres et d’obliger les producteurs à déclarer leurs transactions.
Pour les producteurs, l’UPA dérange donc réellement parce qu’elle préfère le contrôle au dialogue avec ses membres. Elle n’hésite pas à expulser de son organisation les dirigeants qui ne partagent pas l’opinion dominante même s’ils sont élus démocratiquement par des confrères agriculteurs (le cas Roland Daneau et d’autres). Elle a même été jusqu’à désaffilier un syndicat de producteurs au Témiscamingue qui était membre depuis de nombreuses années parce qu’il dénonçait « l’UPA du futur » et ses conséquences néfastes sur la représentation démocratique des producteurs au sein de l’Union.
La protection gouvernementale dont elle bénéficie avec la Loi sur les producteurs agricoles renforce son sentiment qu’il n’est plus nécessaire d’écouter ses membres. Cette loi a permis à l’UPA d’être omniprésente partout et de s’ingérer dans les instances au nom de la défense des intérêts des producteurs. Mais c’est plutôt ses intérêts corporatifs ainsi que son autonomie qu’elle défend. Ce monopole est devenu une machine bureaucratique lourde, détachée des producteurs et qui occupe une position dominante et abusive.
L’UPA peut prétendre qu’elle bénéficie d’une image fortement positive, mais avec sa position dominante et abusive, qui oserait provoquer la colère des dieux! Sinon, comment expliquer la réaction favorable de nombreux groupes de producteurs et d’autres organismes du secteur agricole à la recommandation d’abolir le monopole syndical de l’UPA dans le rapport Pronovost de 2008?
L’UPA d’aujourd’hui, fruit d’un monopole de plus de 40 ans, préfère défendre ses acquis et sa position dominante plutôt que d’encourager l’entrepreneuriat et le développement agricole. Ses positions sur différents dossiers mettent en doute sa capacité de se renouveler (production porcine, avenir de l’agriculture, Politique de souveraineté alimentaire, etc.).
Il est plus que temps que le gouvernement écoute les agriculteurs qui demandent la révision de la Loi sur les producteurs agricoles afin d’introduire une saine concurrence au niveau de la liberté des agriculteurs d’adhérer et de cotiser au syndicat de leur choix. Le fait d’avoir plus d’un organisme syndical accrédité se révèlera être à l’avantage des producteurs. De plus, il s’agit d’une condition essentielle pour éviter tout risque de dérives, de collusion et de corruption comme nous le rappelle pratiquement chaque jour la Commission Charbonneau.
Jacques Cartier,
Président du Conseil des entrepreneurs agricoles (CEA)