En 2020, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi 37 créant le Centre d’acquisitions gouvernementales (CAG) qui a pour objectif de fournir aux organismes publics les biens et les services dont ils ont besoin. À cette occasion, j’avais alors publié une lettre ouverte rappelant le poids déterminant des achats gouvernementaux pour les régions, en insistant sur la responsabilité du gouvernement de favoriser l’achat local.
Le projet de loi était muet sur cet enjeu et nous craignions que son adoption encourage la centralisation des achats au détriment des commerces qui desservent nos communautés et assurent l’occupation de notre territoire. À l’occasion d’une rencontre avec Christian Dubé, alors président du Conseil du trésor, on nous avait assuré que les politiques adoptées dans la foulée de la Loi garantiraient le respect des engagements de l’actuel gouvernement à cet égard.
Or, les premiers rapports reçus des régions nous forcent à constater que c’est l’inverse qui se produit et que nos craintes étaient malheureusement fondées. En vertu de la loi adoptée, les commerces locaux perdent un volume d’affaires significatif et sont parfois écartés des contrats gouvernementaux. Les appels d’offres lancés par le CAG redirigent les achats vers les grands acteurs et des commerces situés à l’extérieur des régions.
Par exemple, il est clairement inadmissible que des achats pour des produits d’entretien de base ou des produits laitiers se fassent en dehors des communautés locales, et même, parfois, à l’extérieur du Québec.
Avec des achats qui totalisent annuellement près de 12 milliards de dollars, le gouvernement du Québec doit jouer pleinement son rôle en matière d’achats et d’approvisionnement locaux. Dans le contexte actuel de crise économique, il est essentiel qu’une politique d’achat local soit instaurée pour les organismes publics, tels les centres intégrés de santé et services sociaux (CISSS), les centres de services scolaires et les maisons des aînés. Il en va tout simplement de la survie des commerces locaux et de la protection du tissu commercial local.
Depuis le début de la crise, le gouvernement a mis en place plusieurs mesures de soutien financier pour protéger l’économie; il doit dorénavant montrer l’exemple dans son propre comportement d’achats. Les commerces et les entreprises du Québec ont bénéficié de cette aide gouvernementale, mais la façon la plus efficace pour le gouvernement, s’il veut véritablement soutenir les entreprises, c’est d’être lui-même l’acheteur de biens et de services que l’on s’attend qu’il soit !
Les commerces de toutes les régions contribuent au dynamisme économique et à l’attractivité des milieux. Leur survie est mise en péril par la crise, alors que leur existence était déjà souvent menacée à cause des aléas de l’économie. Leur présence est pourtant essentielle pour que les Québécoises et les Québécois aient accès à une diversité de produits et de services.
L’achat local, c’est aussi l’autonomie alimentaire. C’est un propos qui revient souvent depuis le début de la pandémie. Or, l’autonomie alimentaire, ce sont des producteurs, de petite et de grande tailles, prospères, avec des débouchés stables. Le gouvernement doit leur assurer un volume d’affaires suffisant partout sur le territoire.
LES CONTOURS D’UNE POLITIQUE D’ACHAT LOCAL
Une politique d’achat local au CAG devrait nécessairement tenir compte de la capacité de production du milieu, et ainsi adapter la demande en termes de volume et de secteur géographique en fonction de cette capacité de production. Dans un tel environnement favorable, les entreprises locales de toutes tailles pourraient souscrire aux appels d’offres et éventuellement les remporter. Cela aurait aussi pour avantage de réduire l’empreinte écologique des achats gouvernementaux.
À plus petite échelle, une politique d’achat local, c’est un soutien aux artisans et aux petites entreprises productrices des communautés, bioalimentaires et autres.
C’est la mise en valeur de leur savoir-faire dans les institutions gouvernementales. On fait bien sûr référence aux institutions dont la taille serait adaptée à l’offre pour assurer un volume constant d’achat. Les maisons des aînés en sont un excellent exemple !
En offrant des conditions préférentielles et des débouchés aux détaillants partout dans nos milieux, le gouvernement contribuerait à leur viabilité au bénéfice de ces populations. Il faut nécessairement favoriser le maintien de l’approvisionnement pour les communautés, que ce soit en articles de bureau, en quincaillerie ou en produits bioalimentaires.
La Fédération québécoise des municipalités a récemment suggéré à la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, à l’occasion d’une rencontre, que le Centre d’acquisitions gouvernementales détermine des objectifs ambitieux en matière d’achat local dans sa planification stratégique, et que ces objectifs deviennent un des éléments déterminants de sa reddition de comptes. Cette proposition et une politique audacieuse n’ont que des avantages. Les constats et les conclusions sont clairs : le gouvernement possède déjà évidemment tous les outils et l’information nécessaires à la pleine affirmation de son rôle pour agir concrètement sur l’achat local, et ce, au bénéfice de toutes les régions.
Jacques Demers, président de la Fédération québécoise des municipalités et maire de Sainte-Catherine de Hatley et préfet de la MRC de Memphrémagog.