Ce juillet, les ministres canadiens de l’Agriculture se réuniront pour conclure un accord sur le prochain cadre stratégique quinquennal. Bien que certains considèrent le cadre stratégique comme un simple accord de dépenses, il pourrait être beaucoup plus. On ne sait pas encore à quel point l’accord fédéral-provincial-territorial (FPT) sera ambitieux ou transformateur. Toutefois, le processus et l’approche adoptés pour parvenir à un accord soulèvent d’importantes questions sur la gouvernance de la politique agricole et alimentaire au Canada et sur sa capacité à atténuer les risques et à saisir les opportunités qui se présentent au secteur agroalimentaire canadien.
L’Énoncé FPT de Guelph, adoptée en novembre 2021, décrit les orientations des gouvernements. Elle présente une vision à long terme pour le prochain cadre stratégique : « le Canada est reconnu comme chef de file mondial dans le domaine de l’agriculture et de la production agroalimentaire durables. Il se projette jusqu’en 2028 en s’appuyant sur une base solide de forces et de diversité régionales, ainsi que sur le leadership fort des provinces et des territoires, afin de : relever le défi des changements climatiques; développer de nouveaux marchés et créer de nouveaux débouchés commerciaux tout en répondant aux attentes des consommateurs; nourrir les Canadiens et une population mondiale croissante. »
Les gouvernements se sont ensuite entendus sur une liste d’activités relevant de cinq priorités : renforcement des capacités et de la croissance du secteur; changements climatiques et environnement; science, recherche et innovation; développement des marchés et commerce; et résilience et confiance du public.
Les priorités semblent refléter le fait que pour obtenir un accord FPT, tout doit être prioritaire. Cette dynamique n’est pas nouvelle. En 2016, les gouvernements ont convenu d’une vision similaire, dite avec moins de mots: « créer le secteur le plus moderne, durable et prospère du monde ». Si les gouvernements ont convenu de six priorités plutôt que de cinq, elles ont reflété largement les mêmes thèmes que cinq ans plus tard.
L’Énoncé de Guelph semble ancré dans le statu quo, en maintenant un accord de haut niveau sur un ensemble commun et continu de priorités. Plutôt que de refléter une vision stratégique pour le secteur, elle reflète peut-être davantage la nécessité de faire de la priorité de chaque gouvernement une priorité pour obtenir un accord.
Cependant, un accord de haut niveau peut ne pas refléter le désaccord sur les nombreux détails qui traduisent les priorités en politiques et programmes. C’est sous ces déclarations de haut niveau que les vraies décisions sont prises, et c’est sous les déclarations politiques de haut niveau qu’il semble y avoir un fossé croissant entre les gouvernements fédéral et provinciaux.
Le gouvernement fédéral s’est efforcé de faire en sorte que son programme de réduction des émissions soit mieux reflété dans le prochain cadre politique. Il tente notamment de modifier les programmes de gestion des risques de l’entreprise pour les rendre plus respectueux de l’environnement et exige que les programmes de science et d’innovation consacrent un montant spécifique de financement à la recherche sur la réduction des émissions.
Bien que ces priorités reflètent le mandat sur lequel le gouvernement fédéral a été élu, elles ne reflètent pas nécessairement un consensus sur la politique agricole canadienne. Le fossé entre les niveaux de gouvernement et certains intervenants peut également être exacerbé par le fait que le gouvernement fédéral demande au cadre stratégique d’en faire plus, sans apporter de nouveaux fonds à la table.
Parallèlement aux négociations sur le prochain cadre stratégique, les deux niveaux de gouvernement reviennent de plus en plus à l’ancienne façon unilatérale de gouverner. La plupart des provinces ont maintenant une forme quelconque de programmes de gestion des ressources renouvelables spécifiques à la province. Le gouvernement fédéral a pris un engagement important à l’égard des programmes environnementaux à la ferme, un domaine qui relève traditionnellement du leadership provincial. La livraison de fonds provenant du Fonds d’action à la ferme, destinés aux agriculteurs, a mis en évidence les conséquences de « s’en sortir seul » alors que les programmes provinciaux existants auraient probablement pu acheminer ces sous aux agriculteurs beaucoup plus rapidement.
Bien que les gouvernements s’entendent sur des déclarations de haut niveau, les débats sur les détails du prochain cadre stratégique, la tendance au statu quo et l’augmentation des actions unilatérales soulignent certains des défis de gouvernance de la politique agroalimentaire au Canada.
Il reste également à voir si les gouvernements sont capables de modifier leurs priorités pour refléter l’évolution du contexte agricole et alimentaire mondial. L’invasion russe et le blocus des exportations de céréales ukrainiennes, ainsi que la réponse occidentale, notamment les restrictions sur les engrais russes et biélorusses, auront des conséquences à long terme au Canada et dans le monde entier. Les fondements du système agricole et alimentaire mondial ont été ébranlés depuis l’adoption de l’Énoncé de Guelph.
La recherche que j’effectuerai dans le cadre de ma bourse portera sur l’adéquation des processus politiques et des modèles de gouvernance existants dans le secteur agricole et alimentaire du Canada. Je fournirai un compte rendu à jour des modèles de gouvernance agroalimentaire canadiens existants; je les comparerai à ceux d’un autre système de gouvernance multi-niveaux de l’agriculture, la Politique agricole commune de l’UE; et, sur la base de l’exercice comparatif, je proposerai un ou plusieurs autres modèles de gouvernance pour surmonter les limites identifiées des modèles de gouvernance agroalimentaire canadiens actuels.
Alors que les négociations sur le prochain cadre stratégique entrent dans leur phase finale, certains pourraient vouloir les conclure et passer à autre chose. Toutefois, le moment est idéal pour examiner le processus que les gouvernements et les intervenants viennent de traverser et se demander comment l’améliorer. Le monde et les pressions exercées sur l’agriculture et l’alimentation canadiennes changent; la gouvernance de la politique agricole et alimentaire devra peut-être changer aussi.
Par Grace Skogstad, boursière distinguée de l’ICPA