Marc Dion
Qui qu’il soit, un ministre entrant en fonction doit composer avec une règle essentielle : la réalisation de toute réforme d’envergure laissant une empreinte durable sur l’agriculture doit compter sur la volonté politique et le temps.
Même lorsqu’un ministre dispose de l’appui de sa clientèle, de celle du caucus des députés et de l’accord du premier ministre, il se présente souvent une problématique avec les circonstances entourant l’élaboration d’un projet. On pense ici à la nécessité de réunir le financement, l’expertise professionnelle et les ressources spécialisées indispensables à la mise en oeuvre et au succès de tout grand projet.
On aborde ici une contradiction, on ne peut reprocher à un ministre d’être pressé alors que les grands projets demandent du temps. À titre d’exemple, l’idée de la création de La Financière agricole du Québec ( 1 ) a été lancée publiquement, en mars 1998, sous Guy Julien, le projet de loi fut adopté, en décembre 2000, sous Rémi Trudel et l’annonce officielle de la mise en oeuvre, en avril 2001, sous Maxime Arseneau.
Bien que le porteur de ballon devant le Conseil des ministres et l’Assemblée nationale fut Rémi Trudel, la réalisation de ce grand projet a nécessité trois années sous l’autorité de trois ministres. Sauf exception, pour faire sa marque en agriculture, un ministre doit profiter non seulement de la volonté politique, mais aussi de la stabilité et de la continuité propre de son mandat pour lancer et mettre en oeuvre un projet clair et ambitieux.
Depuis la création de la fédération canadienne, la durée moyenne des mandats des 42 titulaires de l’Agriculture fut de 44 mois avec des écarts très significatifs. Vous serez certainement étonnés d’apprendre que le plus court mandat d’un ministre de l’agriculture fut de 2 jours. Ce record appartient à Henry Starnes, du 27 au 29 janvier 1887, sous l’éphémère gouvernement du premier ministre Louis-Olivier Taillon.
De même, Némèse Garneau fut assermenté dans le cabinet du premier ministre Simon-Napoléon Parent pour une période de 22 jours, du 1er au 23 mars 1905. Historiquement, quatre titulaires se distinguent pour la longévité de leurs mandats. Joseph-Édouard Caron fut ministre de l’Agriculture, du 18 novembre 1909 au 24 avril 1929, soit pendant près de 20 ans dans les gouvernements de Lomer Gouin et de Louis-Alexandre Taschereau.
C’est sous le premier ministre Maurice Duplessis que Laurent Barré ( 2 ) disposa du portefeuille de l’Agriculture pendant presque 16 ans, du 30 août 2 1944 au 5 juillet 1960. Adélard Godbout assuma ce portefeuille dans le gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau, du 27 novembre 1930 au 27 juin 1936, lorsqu’il ajouta à l’Agriculture la fonction de premier ministre pour deux mois. Il cumula de nouveau ces deux fonctions, du 8 novembre 1939 au 30 août 1944. Ses mandats à l’Agriculture totalisent près d’une décennie.
Enfin, Jean Garon fut assermenté le 26 novembre 1976 dans le gouvernement de René Lévesque. Il demeura en poste plus de neuf ans, jusqu’au 12 décembre 1985. Au cours du XXe siècle, sur les 21 personnes à occuper le fauteuil de l’Agriculture, ces 4 ministres le feront pendant environ 54 ans.
Ceux-ci laissèrent en héritage une empreinte durable et historique sur plusieurs instruments fondamentaux de l’industrie agricole du Québec d’aujourd’hui. Depuis 1960, le cycle de vie des gouvernements s’est réduit. Jean Garon fait donc figure à part dans la période politique contemporaine. Présentement, André Lamontagne entreprend un second mandat. Dans l’hypothèse où il devrait terminer les 4 années prévues à celui-ci, il serait le seul ministre de l’Agriculture des Pêcheries et de l’Alimentation depuis Jean Garon à atteindre la limite de deux mandats complets et consécutifs sans rejoindre les neuf années d’exercice de ce dernier.
1-Par la fusion de la Régie des assurances agricoles du Québec et de la Société de financement agricole.
2 -Il fut le premier président de l’UCC, Union catholique des cultivateurs, aujourd’hui UPA.
Sur la photo Laurent Barré, ministre de l’Agriculture du Québec pendant 16 ans