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Lisez les chroniques historiques de Marc Dion: Adélard Godbout, le visionnaire

C’est de 1930 à 1936, pendant la Grande Dépression et dans le gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau qu’Adélard Godbout fut ministre de l’Agriculture. Il devint premier ministre et ministre de l’Agriculture et de la Colonisation* de juin à août 1936 et de 1939 à 1944, durant la Seconde Guerre mondiale. Au cours du XXe siècle, aucun autre titulaire de l’Agriculture n’a eu à composer avec deux des conjonctures les plus éprouvantes de notre histoire.

Marc Dion

Un précurseur de la Révolution tranquille

À titre de premier ministre, on reconnaît en Godbout, un politicien progressiste et un précurseur de la Révolution tranquille. En dépit de l’opposition du clergé et même de La Terre de chez nous**, il accorda le droit de vote aux femmes. Il adopta une loi du travail moderne donnant le droit de syndicalisation et de négociation collective. Il imposa l’obligation de la fréquentation scolaire aux enfants de 6 à 14 ans. En 1944, il créa Hydro-Québec en nationalisant trois compagnies hydroélectriques de Montréal. Pour supporter le milieu agricole, il lança une politique d’électrification rurale avec un budget de 10 millions $ par année. Sa défaite électorale empêcha la mise en œuvre de cette décision qui fut récupérée et modifiée par le gouvernement de Maurice Duplessis. On lui reprocha d’être trop près du premier ministre du Canada William Lyon Mackenzie King et de son lieutenant québécois Ernest Lapointe. Malgré un engagement électoral contraire, il appuya la conscription. Étant sensible à la situation de la France qu’il aimait et opposée au régime nazi, Godbout supporta l’effort de guerre en cédant certains pouvoirs d’imposition au gouvernement fédéral. Ces décisions ont possiblement entraîné sa défaite électorale de 1944. Pour l’ensemble de son œuvre, on dénombre, 11 lieux portant le nom d’Adélard Godbout soit : 5 rues, 2 édifices, 2 parcs, 1 pont et 1 poste électrique.

En l’an 2000, on dévoilait un monument à la mémoire d’Adélard Godbout à l’arrière de l’édifice de l’Assemblée nationale. En 2009, le ministre du MAPAQ Claude Béchard annonça en collaboration avec la Commission de toponymie du Québec l’officialisation du toponyme Adélard Godbout pour désigner le pavillon principal de l’ITAQ de La Pocatière en reconnaissance de son engagement en faveur de la formation agricole. Notons enfin qu’en l’an 2000, son petit-neveu Jacques Godbout a produit un long métrage documentaire sur Adélard Godbout intitulé “Traître ou Patriote”.

Une vision économique

Ce premier agronome de l’histoire à devenir ministre de l’Agriculture voulut promouvoir une vision économique à des fermes plus commerciales. Il adopta des législations favorables au secteur coopératif. Il encouragea le drainage des terres et la formation des agriculteurs. Il fit la promotion de la culture du lin, nécessaire pour les habits des soldats. Il contribua à la production de la betterave à sucre et à l’établissement d’une raffinerie à Saint-Hilaire. Il fut le premier à avoir une vision régionale de l’agriculture en modifiant la structure du Ministère et en créant 20 districts agronomiques, où il délégua un agronome à la tête de chacun. Il combattit le protectionnisme et favorisa l’achat de produits d’ici dans les milieux urbains. Il travailla à l’ouverture de nouveaux débouchés commerciaux en Europe notamment dans les secteurs du fromage, du sirop d’érable et du porc. Selon Godbout, «pour un cultivateur de progrès, la plus importante amélioration à faire sur la ferme (…) c’est de faire instruire le fils qui lui succédera ». Cet ancien enseignant  de Sainte-Anne-de-la-Pocatière ne manqua jamais une bonne occasion de faire la promotion de la formation qu’il soutint tout au long de sa carrière politique. Enfin, il profita de la remise annuelle des décorations de l’Ordre du mérite agricole pour souligner la contribution des femmes en agriculture. Neuf des trente-huit décorées à titre de Commandeurs spéciaux des années 1940 et 1941 étaient des femmes alors que, pendant les soixante années précédentes, seulement deux communautés religieuses féminines gagnantes d’une médaille de bronze (1894) et d’or (1938) figuraient parmi les récipiendaires de décorations.

L’innovation dans la mise en marché

En 1934, Godbout créa la Commission de l’industrie laitière avec le pouvoir d’arbitrer les litiges et de fixer le prix du lait nature à la production et à la consommation. Celle-ci devait inciter les parties à s’entendre. «À partir de 1935, les cultivateurs reçurent de meilleurs prix pour leurs produits ». Des pouvoirs semblables sont actuellement utilisés  par la Régie des marchés agricoles et alimentaires dans plusieurs plans conjoints. Nous sommes ici à l’origine de l’implication de l’État dans l’encadrement légal de la mise en marché collective des produits qui est aujourd’hui un des piliers de la politique agricole du Québec.

Certains observateurs prétendent que l’origine de la Régie des marchés agricole et alimentaire remonte à la création de l’Office des marchés agricoles du Québec, au milieu des années 1950, par Laurent Barré. Or, bien que cette dernière initiative fut un grand progrès, l’origine revient à la loi de Godbout, en 1934.

Malgré la conjoncture éprouvante de la Grande Dépression et de la Seconde Guerre mondiale, en considérant sa perception de l’avenir économique du secteur, sa contribution à sa modernisation et ses efforts de promotion de la formation agricole, Adélard Godbout fut un visionnaire et un bâtisseur du Québec et de son agriculture.

 

 

* Cléophas Bastien fut ministre de la Colonisation, du 5 novembre 1942 au 12 février 1943.

** Genest, Jean-Guy; Godbout, Septentrion, Sillery, 1996, p.153.Voir La TCN, vol. XII, #21, février 1940.

***Le journal d’agriculture, vol. 37, no 10, 2 septembre 1933, p.3.

****Le journal d’agriculture, vol. 39, no. 21, 23 novembre 1935, p.3. Cité par Genest, J.G., p. 80

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