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Jean Garon et la priorité agricole

Marc Dion

Un personnage historique

Il avait comme idoles Maurice Duplessis et Winston Churchill et il ambitionnait de devenir premier ministre. Il y aura bientôt un demi-siècle (2026), Jean Garon entrait en poste à l’Agriculture ( 1 ) . Depuis, dès qu’un successeur accède à ce poste ou quitte ses fonctions, on ne manque jamais d’entendre ou de lire dans les médias une allusion à ce dernier. Monsieur Garon est devenu une référence comme ministre de l’Agriculture permettant de comparer publiquement le mandat des titulaires lui succédant. Ce fait démontre l’empreinte durable laissée par ce personnage historique.

Un leadership hyperactif

Il faisait ses lectures de nuit. «C’était une de mes armes secrètes lorsque, ministre, il fallait que je dévore des tonnes de papier pour être en mesure “d’accoter” mes fonctionnaires » ( 2 ). Se déplaçant constamment, il participait aux évènements agricoles dans toutes les régions du Québec. Ce politicien hyperactif parlait à tout le monde. Il dormait dans son auto. Il était devenu la hantise des chauffeurs des ministres. Il s’approchait d’une personne avec son petit sourire caractéristique et sur un ton interrogatif lui disait “pis!” de façon à soutirer quelques informations. Bref, la connaissance des opinions diverses devenait l’autre arme secrète du ministre. Il savait s’adresser publiquement à sa clientèle souvent avec un humour qui lui était propre. Les agriculteurs et les agricultrices adoraient entendre Jean Garon. Par ailleurs, ses relations avec l’UPA étaient complexes. «Elle a besoin que le ministre ne soit pas trop faible pour que les dossiers agricoles avancent, mais surtout qu’il n’est pas trop fort, afin de paraître auprès de ses membres comme étant celle qui mène la danse. (…) Il y a toujours eu un décalage entre le discours officiel de l’UPA, revendicateur et agressif, et l’appui que j’ai trouvé sur le terrain, auprès des agriculteurs de la base » ( 3 ). Garon était un des rares ministres à exercer son leadership politique au-delà de la puissante organisation syndicale.

Un conservateur interventionniste

Qui ne reconnait pas ce ministre derrière l’autosuffisance alimentaire et la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles? Il a à son actif une liste impressionnante de réalisations, citons à titre d’exemple la politique céréalière, les Floralies internationales de Montréal, les lois visant à améliorer la qualité des aliments, Le ministère de l’Agriculture devient le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation 1 (MAPAQ) lorsque les pêches maritimes s’ajoutent en 1979. Jean Garon, coll., Simon Bégin, Pour tout vous dire, VLB éditeur, La Vie agricole, 2013, p.45. 2 Jean Garon, coll., Simon Bégin, Pour tout vous dire, VLB éditeur, La Vie agricole, 2013, p.163. 3 la multiplication des secteurs couverts par le programme ASRA et les subventions offertes à plusieurs productions. Pour nourrir le Québec, ses interventions étaient si abondantes qu’au Ministère on utilisait un gros cahier à anneaux afin d’insérer la série de programmes d’aide applicables dans presque tous les segments de l’agriculture. Que ce soit par la législation, par la règlementation ou par de nouvelles mesures d’aides financières, Jean Garon donnait une dimension jusqu’alors inconnue à l’interventionnisme de l’État en agriculture. Ce ministre démontrait une personnalité de conservateur et il agissait politiquement comme un réformiste. Ce passionné orientait toujours ses analyses sous un angle politique. Pour lui, tout était politique. Ayant une autre conception du rôle de l’État, l’opposition libérale lui reprochait ses interventions tous azimuts. On l’accusait de ne pas respecter les fonds publics. Vers la fin de ses mandats, on lui servait l’exemple de son projet d’investissement dans la modernisation de la raffinerie de sucre de Saint-Hilaire presque toujours déficitaire. Celle-ci fut vendue et fermée par son successeur Michel Pagé, en 1986.

L’homme au Ministère

Ce travailleur acharné démontrait une détermination sans commune mesure. Intelligent et rusé, il maîtrisait ses dossiers et utilisait son caractère de “Pit Bulls” pour lever les obstacles et faire progresser ses demandes devant ses collègues ministériels. Dans sa préface des mémoires de Jean Garon, Jacques Parizeau dit “qu’il n’y avait rien pour l’arrêter”. C’était un porteur de ballon hors pair qui n’hésitait pas à bousculer tout le monde au gouvernement pour mener ses projets à terme. Il gérait le Ministère au pas de charge, comme en situation de guerre. Dans le corridor du cabinet, près de la salle de conférence où il tenait audience, on entendait la voix rauque du ministre. Il pouvait rire, questionner et rugir. Certains prétendaient que Garon avait deux personnalités. En public, il devenait le “smiling minister”, il faisait rire son auditoire. En privé, c’était l’homme stressé parfois colérique et rageur. Son entourage du MAPAQ subissait ses sautes d’humeur et ses impatiences. Après des périodes difficiles, certains quittèrent le Ministère. Il avait de la difficulté avec ses horaires excessifs. En dépit des rappels de son attaché de presse Simon Bégin, il était toujours en retard dans ses rendez-vous. Il épuisait son sous-ministre Ferdinand Ouellet avec des rencontres jusqu’au petit matin. Presque tous reconnaissent ses forces au service du développement de l’agriculture. Jean Garon bénéficiait de l’expertise et de l’appui d’une équipe dynamique, créative et très compétente. Jacques Parizeau dit, «entre une idée ou un projet et des résultats il y a le Ministère (…) ceux qui font fonctionner la machine, ce sont le sous-ministre et les cadres du ministère ». (4 )

L’agriculture, la priorité du pouvoir

Lors de l’élection perdue de 1973, le point faible du vote en faveur du Parti québécois se localise dans les circonscriptions rurales. Devenu premier ministre en 1976, René Jean Garon, coll., Simon Bégin, Pour tout vous dire, VLB éditeur, La Vie agricole, 2013, p.11. 4 Lévesque voulait convaincre les agriculteurs de la pertinence de la souveraineté pour le secteur agricole. Il considérait qu’un référendum ne pouvait être gagnant sans le “oui” des régions rurales. Le gouvernement avait le besoin politique d’obtenir le support des agriculteurs. Ce qu’aucun de ses successeurs ne peut revendiquer, bien que des ministres ont eu l’appui de leur premier ministre, Jean Garon disposait du soutien presque inconditionnel de René Lévesque. En conséquence, l’orientation fondamentale devenait, le secteur économique prioritaire du pouvoir politique de ce gouvernement souverainiste était derrière les projets de Jean Garon. L’agriculture devenait, le secteur économique prioritaire du pouvoir politique.

1-Le ministère de l’Agriculture devient le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) lorsque les pêches maritimes s’ajoutent en 1979.

2- Jean Garon, coll., Simon Bégin, Pour tout vous dire, VLB éditeur, La Vie agricole, 2013, p.45.

3- Jean Garon, coll., Simon Bégin, Pour tout vous dire, VLB éditeur, La Vie agricole, 2013, p.163.

4- Jean Garon, coll. Simon Bégin, Pour tout vous dire, VLB éditeur, La Vie agricole, 2013, p.11.

 

Chronique rédigée par Marc Dion, ancien sous-ministre au MAPAQ

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