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La grogne à nos portes

Il aura suffi de l’annonce de la fin de la ristourne sur le diesel agricole, pour faire sauter la marmite, une marmite ou plutôt une classe agricole qui était déjà en pleine ébullition en Europe. C’est avec surprise que les gens de la ville apprennent le ras de bol des cultivateurs européens, allemands, suisses, roumains, italiens, français, espagnols,  avec des revendications semblables dans des systèmes agricoles peu semblables. Les principales revendications, au-delà de la baisse des revenus, c’est la paperasse administrative grandissante, des normes environnementales de plus en plus importantes sans pour autant de réciprocité avec les partenaires étrangers, et le fait de se sentir traités inéquitablement par la société. À voir ce qui se passe en Europe peut-on craindre la même chose en Amérique du Nord?

Pourtant depuis quelques années il n’y a jamais eu autant d’argent dans les systèmes agricoles, mais cette richesse ne semble pas rester dans la poche des producteurs, à en croire les producteurs agricoles européens. L’iniquité du partage de la richesse en agriculture semble être un problème, et il est réel. Les prix des denrées agricoles se sont nettement améliorés depuis 2008, l’offre et la demande sont plus en adéquation, les immenses surplus agricoles qui plombaient les marchés ont pratiquement disparu et les états sont un peu plus disciplinés dans leurs soutiens à l’agriculture, ce qui crée moins de distorsion négative.

Cependant cette richesse soudaine a rapidement disparu, par la disparition (volontaire ou imposée) des outils collectifs de mise en marché des produits agricoles, telle la disparition des quotas en France. Ces agences avaient un rôle, souvent oublié, de répartition de la richesse, on les a peut-être supprimés un peu vite, sans réel remplacement.

Les grands groupes agroalimentaires ont rapidement tiré la richesse de leur côté, les états ont essayé de riposter sans grand succès, la loi Egalim votée en 2018 en France n’a pas été un grand succès. De plus l’inflation galopante des intrants agricoles et la spéculation des terres alimentée par des taux d’intérêt trop bas, ont réduit à néant les profits que la hausse de prix faisait miroiter.

Des systèmes qui s’autodétruisent

Ici, on a passablement résisté à l’abolition des agences de vente. Les systèmes, mieux connus pour ces quotas de production, continuent à jouer ce rôle, le lait et la volaille en sont de bons exemples. Cependant ces systèmes ont de la difficulté à se reformer et s’autodétruisent, l’exemple du porc au Québec est éloquent.

Perte pharaonique du plus gros transformateur de porc

L’agence de vente dans le porc est devenue tellement dysfonctionnelle que pendant que les prix sont excellents en Amérique du Nord, ici les producteurs disparaissent. Le plus gros transformateur perd des sommes d’argent pharaoniques et les gouvernements payent la note. Au Québec l’on a encore nos plans conjoints, les garder et les mettre à la sauce 2024 reste le meilleur outil pour influer sur une répartition de la richesse équitable.

Déconnexion des attentes sociales et rentabilité des exploitations

Autre élément majeur dans la grogne des producteurs européens, ce qui est bien expliqué par Jean Marie Séronie dans son livre, «2041 l’odyssée paysanne», c’est la déconnexion entre les attentes sociales en matière d’environnement, et les déterminants de la rentabilité des exploitations.

La population pousse via ses politiciens des pratiques agricoles qui sont malheureusement le plus souvent difficilement maîtrisables par une majorité de producteurs. Le citoyen est devenu le gérant d’estrade en chef, et cela cause beaucoup de frustration dans la classe agricole. Ici nous ne sommes pas à l’abri de ce phénomène. Le monde agricole s’est souvent isolé de la société en général considérant les affaires et le territoire agricole comme sa propriété exclusive, ce qui n’est malheureusement plus le cas.

Les producteurs français reprochent au gouvernement et à la société le manque de réciprocité, il leur impose un paquet de charges et de règles sans pour autant les imposer aux importations venant de pays aux règles plus laxistes voir inexistantes. L’adhésion des pays de l’Europe de l’Est dans l’Union européenne a accentué ce problème. Au Canada ce problème est aussi existant, mais moins prononcé qu’en Europe de par notre situation géographique et de par la nature de nos partenaires de l’ensemble économique nord-américain.

À nous d’y voir

Nous devons voir dans la révolte des agriculteurs européens une sérieuse mise en garde, nous avons des éléments importants pour nous prévenir d’une telle situation, cependant le point de bascule peut être rapidement atteint si nous ne prenons pas conscience des éléments qui ont mené à cette crise sociale en Europe, à nous collectivement d’y voir.

 

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