Jean-Marie Séronie, Agroéconomiste indépendant, Académie d’agriculture
Le président de la République lors de son inauguration chahutée du salon de l’agriculture a lancé deux pavés dans la mare : la mise en place de prix plancher et un plan de soutien de la trésorerie des entreprises en difficulté. Effet de surprise réussie tout le monde (y compris, semble-t-il, son entourage) semble découvrir.
Depuis les conjectures vont bon train dans les allées du salon et les discussions agricoles. Regardons le prix plancher
Les prix plancher ont déjà existé !
Pour certains ce n’est pas nouveau, avant 1992 il y avait les prix indicatifs qui étaient en fait des prix garantis. C’est à peu près vrai sauf que c’étaient des prix objectifs, la puissance publique achetant les produits quand les cours étaient plus bas et revendaient ces stocks quand les cours s’élevaient au-dessus de ce prix. Mais surtout nos frontières étaient protégées par des barrières douanières. Enfin ces prix objectifs ne concernaient pas, et de loin, toutes les productions.
Nous ne sommes donc absolument plus dans ce contexte et on voit mal l’articulation entre cette idée française et la politique européenne, sauf à renverser complètement la table à Bruxelles … pour la PAC 2028
Nous sommes dans une économie de marché
Un acheteur pourrait être obligé de payer un prix minimum fixé en dehors de sa relation client-fournisseur par l’état ou une interprofession. Par contre, rien ne l’oblige à acheter français. On aurait donc, en cas de prix assez supérieur au marché, un risque évident d’augmentation des importations. À l’inverse un exportateur, contraint d’acheter à un prix supérieur au marché international n’exporterait plus.
La logique de prix plancher nécessiterait donc un retour à une protection aux frontières et à des soutiens à l’exportation ou à renoncer à notre vocation exportatrice ce qui serait évidemment un tsunami pour les grandes cultures.
Un prix a aussi un rôle d’équilibre sur le marché, en cas de surproduction une baisse des prix stimule la consommation c’est notamment vrai en fruits et légumes. Comment faire avec des prix planchers, si il n’y a pas des achats publics en cas de surproduction. C’est d’ailleurs pour cela que la filière fruit et légume avait récusé Egalim qui restreignait les possibilités de promo. À certains moments il vaut mieux vendre à bas prix que détruire.
On pourrait n’appliquer les prix planchers qu’à certaines productions.
Comment fixer les prix plancher ?
Ne rentrons pas vraiment dans le qui fait quoi. Dans l’idée du président, il semble que cette mission soit confiée aux interprofessions… Vu la jurisprudence sur les ententes dont sont régulièrement accusées les interprofessions (on pense il y a dix ans aux accords sur le prix du lait) il sera intéressant d’entendre la direction de la concurrence s’exprimer sur la question.
Demandons-nous à quel niveau fixer le prix plancher censé garantir le revenu des producteurs ! Le revenu n’est pas déterminé par le prix de vente seul. Il y a l’efficacité technique (combien faut-il d’achats pour réaliser 100 euros de vente) et l’efficience du travail (quelle production réalisée par unité de travail), mais aussi le niveau des charges de structure et des emprunts à rembourser variable selon la phase de vie de l’entreprise.
Fixer un prix plancher permettant à la moitié des producteurs d’être rentables avec leurs performances actuelles ? Sans doute inacceptable pour les syndicats agricoles.
Fixer un prix plancher permettant un équilibre financier à 90% des agriculteurs ? Sans doute populaire à court terme, car permet une approche sociale pour les plus faibles et dégage une rente financière pour les plus forts … mais à quel prix pour le consommateur, notre balance commerciale ? De plus « ce confort » freine l’adaptation et conduit certainement à moyen terme à une baisse de compétitivité.
On pourrait peut-être imaginer des prix plancher dans des accords de filières assujettis à un changement de modèle de production… vers l’agroécologie, mais c’est une autre logique. Cela diminuerait le risque de transition pour l’agriculture et rémunérerait, non pas véritablement un service environnemental mesuré, mais des pratiques considérées comme vertueuses… qui au final seraient payées par le consommateur.
Alors nuage bas de plafonds ou étoiles dans la tourmente chacun jugera, mais ce qui me semble certain : des prix plancher ne peuvent s’imaginer raisonnablement que dans un changement profond de système, dans une dimension sans doute européenne, mais certainement avec une protection aux frontières et une régulation publique des marchés.