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Opinion: Roméo Bouchard réagit au livre «Notre agriculture à la dérive»

« Il faut cesser de laisser dériver notre agriculture sur un océan de maïs » (Notre agriculture à la dérive). Cette fois-ci, ce sont trois professionnels aguerris, deux agronomes (Michel Saint-Pierre, Guy Debailleul) et une géographe (Suzanne Dion), qui ont occupé des positions stratégiques dans les institutions agricoles publiques, qui sonnent l’alarme sur la dérive de notre agriculture et l’urgence de s’attaquer à des réformes structurelles majeures.
Ce discours n’est pas nouveau : il reprend l’analyse qu’en ont faite les citoyens au début des années 2000, lors de la lutte contre l’industrie porcine d’exportation et la création de l’Union paysanne (dont les auteurs ont pris soin de ne dire mot) et qui a été génialement reprise par la Commission Pronovost toujours tablettée. Et ils le font avec abondance de chiffres, un discours qui manque un peu de cohésion comme tout ouvrage collectif et une modération professionnelle qui frise parfois la peur de déplaire à l’UPA et au Gouvernements.
Ils tracent d’abord le portrait de notre territoire agricole : un des plus restreint parmi les peuples, à moitié utilisé, grugé sans cesse par les développements immobiliers, industriels et l’enfrichement, accaparé par un groupe de plus en plus restreint d’agriculteurs industriels et d’intégrateurs-exportateurs, monopolisé de plus en plus par des productions céréalières destinées à nourrir des porcs qu’on exporte, appauvri et contaminé par des pratiques agricoles productivistes et dont la contribution à l’alimentation autonome du Québec ne cesse de rétrécir au profit des importations (les propos des auteurs sur le taux réel d’autosuffisance alimentaire du Québec demeure toutefois assez confus).
Dans ce contexte, force est de constater que toutes les alternatives (agriculture biologique, fermes de proximité, transformation locale, autonomie alimentaire, etc.) continuent à être marginalisées jusqu’à épuisement, malgré les prouesses de l’UPA et du Ministre de l’Agriculture pour faire croire le contraire, quand dans les faits ils n’ont toujours pas un accès juste au financement, à la terre, aux quotas, aux marchés ou à la représentation syndicale.
Une donnée majeure du dossier est cependant peu approfondie: celle de la chute dramatique des revenus nets des agriculteurs même les plus modernisés. Quand un modèle d’entreprise produit des déficits année après années et ne survit que par les aides gouvernementales, comme c’est le cas présentement pour les agriculteurs québécois, il y a lieu de remettre le modèle en question. Il y est pas question non plus des ententes de libre échange qui sont au cœur de ce dérapage des agricultures locales. Force est de constater que libre-échange, productions d’exportation et autonomie alimentaire ne font pas bon ménage.
Les auteurs montrent bien cependant comment cette dépossession de notre agriculture est le résultat d’une dérive des institutions et politiques agricoles mises en place au début des années 1970 : le monopole syndical, les plans conjoints de mise en marché collective, la gestion de l’offre, l’ASRA (Assurance Stabilisation des Revenus Agricoles) et la Financière agricole, la CPTAQ (Commission de Protection du Territoire Agricole), le CDAQ (Conseil pour le Développement de l’Agriculture Québécoise, MAPAQ (Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec) et le REA (règlement sur les exploitations agricoles) au Ministère de l’Environnement. Celles-ci ont été largement détournées au profit des plus gros industriels et exportateurs.
La ligne d’action proposée est cependant claire : « Il faut cesser de laisser dériver notre agriculture sur un océan de maïs ». Ce qu’il faut, ce n’est pas plus d’argent du gouvernement, ce sont des réformes pour ramener une agriculture qui nourrit la population québécoise et revitalise les régions. « Une telle mission suppose que l’État protégera nos ressources et favorisera une agriculture plurielle et multifonctionnelle. Ce qui veut dire des changements majeurs aux politiques et programmes gouvernementaux, afin notamment de soutenir financièrement toutes les formes d’entreprises agricoles qui contribuent à la réalisation de cette mission. »
« Alors que les signaux sont clairs, écrit un des auteurs, pourquoi donc est-il si difficile de revoir nos politiques et de les ajuster à la nouvelle réalité? » Et la réponse est sans doute dans cette phrase citée du grand Edgard Pisani, père du pacte agricole de l’Union européenne, à la fin de sa vie : « J’ai favorisé le développement d’une agriculture productiviste, ce fut la plus grosse bêtise de ma vie ».
Roméo Bouchard co-fondateur de l’Union paysanne
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