Lettre ouverte: Pourquoi les agriculteurs devraient appuyer le mouvement étudiant?

J’ai été témoin sur les réseaux sociaux de propos d’agriculteurs s’indignant des prises de position de l’UPA autour du conflit étudiant et de l’adoption de la loi 78. Voici en quoi, je pense que le conflit actuel touche l’agriculture et devrait mobiliser tous les agriculteurs et les personnes qui ont à cœur l’agriculture au Québec.

Tout d’abord, la loi 78 vient restreindre le droit de manifester pour tous les groupes, y compris l’UPA. Imaginons que demain, le gouvernement décide d’abandonner la gestion de l’offre. Quel serait le pouvoir de pression de l’UPA si elle devait fournir l’itinéraire de ses manifestations? Oublions tout de suite la possibilité de bloquer l’autoroute avec nos tracteurs, puisqu’il s’agit de désobéissance civile. L’UPA et ses élus pourraient être poursuivis s’ils incitaient les agriculteurs à désobéissance civile, aussi pacifique soit elle (jusqu’à 125 000$ d’amende). Voulons nous vraiment perdre ce rapport de force, ce droit fondamental de manifester devant les abus de nos gouvernements? Si non, il faut s’opposer en bloc à cette loi qui vise à museler tous les syndicats et organisations citoyennes du Québec.
Ensuite, concernant le conflit étudiant, laissons de côté les idéologies. D’un point de vue fiscal, les études universitaires sont un investissement rentable pour la société. Les diplômés universitaires représentent 15 % de la population, contribuent à 35% des recettes de l’État en impôt sur le revenu et reçoivent 8% du budget en programmes sociaux (plus les gens sont scolarisés, moins ils coûtent chers en soins de santé et autres). En comparaison, les personnes qui n’ont pas de diplôme secondaire représentent 20% de la population, contribuent à 9% des recettes en impôt et accaparent 40% du budget en programmes sociaux! Les étudiants, une fois diplômés, feront naturellement plus que leur part en impôt.

Revenons à l’agriculture. Le conflit actuel concerne entre autres les agriculteurs dont des enfants veulent étudier et tous les agriculteurs qui utilisent des services professionnels (vétérinaires, agronomes, agroéconomistes, etc.). Vous n’êtes certainement pas ignorants des problèmes de manque de vétérinaires et de services conseils (agronomes, agroéconomistes) dans certaines régions du Québec. Une hausse des frais de scolarité ne risque que d’accroître cette pénurie. De plus, avec la crise alimentaire mondiale qui s’aggrave et tous les autres défis que connaît l’agriculture, nous aurons grand besoin de diplômés universitaires en agriculture, ici et ailleurs dans le monde.

Prenons l’exemple des études en agronomie, un baccalauréat de 4 ans. En 2008, 46,5% des agronomes gagnaient entre 20 000$ et 49 000$, alors que 45,1% gagnaient plus de 50 000$ pour un salaire moyen de 50 012$. Pour 2007-2008, Le Mouvement Desjardins estimaient à près de 12 000$ de frais annuels pour un étudiant qui ne réside pas chez ses parents. Pour un baccalauréat en agronomie, en génie agricole ou en agroéconomie, la facture s’élève à 48 000$. Avec la hausse du gouvernement Charest, la facture augmentera à 54 500$. Le tout à rembourser avec un salaire de 50 000$ avant impôt et coût de vie !!! Alors que nous manquons déjà de diplômés universitaires en agriculture, quel effet pensez-vous aura la hausse des frais de scolarité? Peut-être que les jeunes préfèreront faire un DEP en électricité et gagner un salaire moyen de 60 308$! Pourquoi s’endetter autant, travailler si fort pour espérer gagner si peu?

Vous me direz, les étudiants n’ont rien qu’à travailler durant leurs études! Étudier, faut-il le rappeler, est une occupation à temps plein (travaux, études, cours). Plusieurs étudiants travail à temps partiel et tout l’été (souvent au salaire minimum) pour diminuer leur endettement au risque de nuire à leurs études. Vous me direz, il y a les prêts et bourses! Les familles agricoles, avec un revenu moyen 68 000$ (en 2008), n’ont pas accès aux bourses, ce qui se traduit par un endettement maximum. Les familles agricoles auront-elles encore les moyens de payer des études à leurs enfants (études qui coûtent plus chers car les étudiants doivent aller étudier en ville)? Et qui dit endettement dit profits pour les banques. Avec des taux d’intérêt pas si intéressants (taux aux entreprises + 0,5%), considérant les prêts sont garantis par le gouvernement (donc par les contribuables), une hausse des frais de scolarité, par conséquent de l’endettement, va directement enrichir les institutions financières. Est-il nécessaire de rappeler que les banques font des milliards de profits chaque année alors que l’on coupe dans les services à la population et que l’on demande aux contribuables de se serrer la ceinture?

Les exemples québécois et canadiens montrent que chaque hausse des frais de scolarité se traduit par une baisse de fréquentation des universités par les étudiants dont les parents sont les moins fortunés. Voulons-nous les meilleurs vétérinaires, les meilleurs agronomes ou voudrons-nous nous contenter de ceux dont les parents auront eu les moyens de leur payer des études?

Véronique Bouchard, agricultrice, Mont-Tremblant

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