L’agriculture bloque l’accord de Libre-Échange Canada-Union-Européenne (AECG)


par Vincent Routhier, André Binette, Gérard Samet, avocats


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L’Accord économique et commercial global (AECG), en cours de négociation entre le Canada et l’Union Européenne (UE), est en panne. Comme dans toute négociation internationale, les questions difficiles ont été réservées pour la fin. Nous y sommes!

L’une des difficultés majeures, est le blocage actuel de la négociation agricole. Comment libéraliser le marché et rendre compatible la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Europe, la gestion de l’offre à la fois canadienne et québécoise, ainsi que les plans conjoints québécois?

La complexité vient d’abord de l’ambition de cet Accord à venir, destiné non seulement à créer une seule zone économique entre les 500 millions d’Européens et le Canada, mais aussi à traiter de toutes les barrières non tarifaires au commerce (BNT). L’AECG a vocation à devenir, s’il est signé, un accord de libre-échange de seconde génération, qui couvrirait non seulement le commerce des biens et services, mais également les dispositions sur le travail, l’investissement, les marchés publics, la coopération en matière de réglementation, la propriété intellectuelle, l’admission temporaire des gens d’affaires, la politique de la concurrence ou le droit de l’environnement.

L’agriculture est un enjeu majeur : porc et bœuf versus fromages, la réalité du marchandage

Le marché européen présente d’importantes opportunités pour accroître les exportations canadiennes. Les productions bovines et porcines y trouveraient des débouchés importants.

Les fromages européens peuvent-ils pénétrer le marché canadien et le porc ainsi que le bœuf le marché européen? Si le Canada, le Québec et les autres Provinces sont prêts au compromis pour l’importation des fromages et produits laitiers européens, il est normal qu’ils puissent demander une contrepartie lors de la négociation. Mais l’UE reste pour l’instant de marbre face à nos demandes d’exportation en franchise de droits de douane concernant le porc et le bœuf. Les demandes que nous présentons paraissent trop élevées pour l’UE. Trop de concessions accordées à l’agriculture canadienne seraient un fâcheux précédent dans la négociation à venir d’un nouvel Accord de Libre-Échange entre l’UE et les États-Unis. Pour les quantités désirées, l’UE ne veut pas ouvrir ses marchés. Pourtant, l’UE devra faire des concessions sur les barrières tarifaires et non tarifaires qui protègent ses agriculteurs. Sinon, le commerce avec le Canada ne pourra pas se développer. Ce serait dommage.

Le marché européen est presqu’entièrement fermé aux exportations de bœuf canadien. Une des raisons importantes est une barrière non tarifaire : l’interdiction d’importer et de vendre des viandes qui contiennent des hormones de croissance. Le Canada veut que l’UE lui accorde une part de marché garantie de quarante mille tonnes métriques de bœuf par an. Cela créerait les incitatifs nécessaires pour que les producteurs de bœuf canadiens cessent ou diminuent l’utilisation des hormones de croissance dans leur production bovine.

Le Canada exige aussi des dizaines de milliers de tonnes de quote-part pour le marché des exportations de porc. Ceci permettrait d’accroitre l’exportation de produits de transformation, augmentant ainsi la production des abattoirs canadiens.

Ces questions ne sont pas réglées.


Une négociation agricole complexe : concessions réciproques et conséquences


La gestion de l’offre fait partie des questions débattues. Les secteurs agricoles ne sont pas totalement un secteur libre au Canada, au Québec et en Europe. Voilà pourquoi, obtenir un accord nécessite des concessions réciproques, difficiles à obtenir. La participation des Provinces, donc du Québec, ne facilite pas la tâche des négociateurs, puisque les producteurs agricoles d’ici bénéficient de la gestion de l’offre dans la production laitière, et le secteur avicole. Ceci représente près de 40% de la production québécoise soumise à un système de quotas, au contrôle des prix et à des restrictions d’importations. Les Plans conjoints, d’autres outils de structuration de la production agricole et de la pêche, existent dans certains secteurs québécois, ce qui leur donne le pouvoir de contrôler le marché des produits concernés. Les secteurs les plus protégés de la production agricole canadienne devront s’ouvrir.

Si la négociation ouvre les marchés du porc et du bœuf, la contrepartie de cette ouverture du marché européen sera que le Canada devra ouvrir son marché aux importations européennes de produits laitiers, surtout les fromages. Sous le système de gestion de l’offre, les importations en provenance du vieux contient occupent déjà quelques 60% des importations totales de fromage, soit environ treize mille tonnes. Ces quotas sont détenus par les importateurs de fromage, sociétés qui incluent, ironiquement, parmi les plus importants producteurs de fromage au Canada. C’est donc dire que les producteurs de fromage canadiens sont aussi les plus grands importateurs, car ils contrôlent autant la consommation de lait cru que la distribution des fromages qui en découle.
Puisque les importations européennes vers le Canada, qui excèdent 13 000 tonnes, sont assujetties à des tarifs prohibitifs, de l’ordre de 200 à 300%, ce système de gestion de l’offre assure que la quantité de lait cru consommé, ainsi que de fromage importé d’Europe, se maintiennent à des niveaux constants. L’UE pourrait obtenir, dans le cadre de l’AECG, jusqu’à dix mille tonnes supplémentaires de produits laitiers en accès libre au marché canadien, sans quotas.

La négociation ne progresse pas pour l’instant sur ces sujets

Les difficultés de la négociation agricole, menée conjointement par Ottawa, le Québec et les autres Provinces, pourrait-elle bloquer durablement cet Accord de nouvelle génération?

Pour la première fois, l’exercice des compétences économiques des Provinces ferait l’objet de nombreuses dispositions de l’Accord, à un degré nettement plus élevé que par le passé. A titre d’exemples, que ce soit au niveau des politiques d’approvisionnement du gouvernement du Québec ou des municipalités, ou encore de la mobilité des professionnels et travailleurs spécialisés, jamais un accord international commercial n’aura été aussi loin pour encadrer les décisions des Provinces. L’Union européenne avait pour objectif principal de permettre aux entreprises européennes d’investir plus librement ici et de participer aux appels d’offres des ministères ou sociétés d’État au niveau provincial. Le gouvernement canadien avait déjà ouvert ses marchés dans le passé et réduit les tarifs douaniers. Cette fois, on établit des précédents dans de nouveaux secteurs.

Cet objectif européen a eu pour effet de rehausser la visibilité et le statut du Québec à la table de négociation. Dans le passé, dans les négociations avec les États-Unis par exemple, les Provinces n’étaient généralement que consultées et elles ne participaient pas directement aux négociations avec les délégations étrangères. L’Union européenne a exigé que les Provinces soient à la table afin qu’elles soient liées par l’Accord et qu’elles s’engagent clairement. La position canadienne sur plusieurs points n’est donc pas uniquement une position fédérale, mais une position fédérale-provinciale. C’est le cas de l’agriculture. Les dissonances sont réglées avant la table de négociation.
La signature de l’AECG pourrait faire évoluer l’ALENA

Le Canada a signé l’Accord de libre-échange avec les États-Unis il y a une vingtaine d’années. (Devenu l’ALENA lorsque le Mexique s’est ajouté). L’appui du Québec a été crucial sur le plan politique, même si à l’époque sa participation a été moins importante. Certaines dispositions de l’ALENA devront peut-être être revues suite à la conclusion de l’AECG en raison de la clause de la nation la plus favorisée. De plus, l’Union européenne et les États-Unis viennent d’annoncer qu’ils veulent négocier leur propre accord de libre-échange. Même si ce processus peut prendre plusieurs années, l’AECG servira de référence importante dans ces négociations.

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