Le débat sur les négociations du Partenariat Transpacifique (PTP) et leurs conséquences pour l’avenir de la gestion de l’offre ne porte pas sur les mérites de la gestion de l’offre eux-mêmes. Il porte sur le pouvoir du Canada dans des négociations auxquelles il a été invité, et dont il n’est pas un acteur essentiel. La position du Canada est plutôt fragile. Il pourrait devoir s’engager à ouvrir son marché des produits laitiers d’une manière ou l’autre, ou risquer d’être tout simplement mis à l’écart.
La gestion de l’offre a indubitablement bien servi l’industrie laitière canadienne. Les producteurs laitiers ont vu augmenter leurs revenus et leur patrimoine au fil des ans. Saputo et Agropur se sont développés pour devenir des acteurs mondiaux majeurs. L’industrie laitière canadienne peut être considérée comme mature. Cependant, même si la gestion de l’offre survit aux négociations du PTP, son avenir est incertain, car plusieurs forces menacent de l’intérieur ses trois piliers fondateurs.
La plus grande de ces forces est le faible potentiel de croissance du marché intérieur qui ne pourra se traduire que par une augmentation marginale de la production. Au niveau de la transformation, maintenir ou augmenter les marges exigera alors une réduction des coûts d’approvisionnement : baisse du prix du lait, et concomitamment utilisation accrue des ingrédients importés. Les gains de productivité en élevage et la pénurie de main-d’œuvre agricole exerceront une énorme pression pour réaliser des économies d’échelle dans de nombreuses fermes, et ce pour contenir la détérioration continue de leur rentabilité. Des voix, plus nombreuses et plus fortes, se feront alors peut-être entendre pour réclamer la possibilité d’exporter des produits laitiers, remettant ainsi en question le contrôle des importations.
Deuxième force, la mobilité des quotas. Cette consolidation des fermes laitières rendra, par ailleurs, urgente la possibilité d’accéder aux quotas nécessaires. Or, le marché des quotas a perdu de sa liquidité à la suite de l’adoption de nouveaux règlements d’échange de quotas. Un déclencheur sera impératif pour inciter à la vente de quota. Diminuer le prix du lait ? Réduire le plafond du prix du quota ? Laisser le prix du quota être fixé librement ? Constituer un marché national des quotas et les laisser circuler sans entraves entre provinces ? Les réponses à ces questions ne sont pas neutres dans un contexte où il faut maintenir autant de fermes laitières que possible dans autant de régions que possible. La quadrature du cercle. Certains producteurs «indisciplinés» pourraient vouloir rompre avec la discipline de production.
La troisième force est l’endettement, résultat du coût des actifs. En effet, l’acquisition de quotas n’est qu’une (très) coûteuse première étape. Des investissements supplémentaires (bâtiments, équipements, terres agricoles, génétique du troupeau, etc.) sont nécessaires pour maintenir des systèmes cohérents de production laitière. Cela sera tout particulièrement important au Québec, où la très grande majorité des étables laitières sont encore des étables à l’attache, mal adaptées à l’automatisation des processus de production de lait qui s’imposera comme un élément clé de la compétitivité des fermes laitières. Des investissements massifs devront donc être réalisés au cours des dix à quinze prochaines années afin de permettre la modernisation complète de la production laitière du Québec.
Pendant ce temps, les sources de capitaux disponibles pour l’agriculture canadienne sont restreintes essentiellement à la dette en raison de la frilosité du monde agricole vis-à-vis des investisseurs externes. Des fermes déjà endettées devront donc supporter plus de dettes, ce qui affaiblira d’autant plus leur rentabilité. Les écarts d’efficacité économique entre fermes rendront la fixation du prix du lait encore plus conflictuelle, car des intérêts divergents s’exprimeront avec plus de force à travers l’ensemble de la filière et au sein de ses divers maillons.
Ces forces centrifuges pourraient finir par menacer les piliers de la gestion de l’offre d’un effondrement dont le Québec serait à l’épicentre. La gestion de l’offre en tant que telle est une politique sensée, mais elle ne peut pas prétendre rester pertinente pour toujours et s’instaurer en dogme. Voilà pourquoi le temps est venu d’un examen approfondi, suivi d’un débat ouvert sur l’avenir, sur le pourquoi et le comment de la gestion de l’offre.
Par Bertrand Montel, PhD., Ceressys