Une centaine d’artistes québécois ont récemment signé une lettre d’appui au candidat qui devrait protéger le mieux leurs intérêts. L’initiative est louable puisque les arts et la culture sont des domaines dont la dimension économique est souvent incomprise par les politiques. Mais la démarche de ces artistes ne tient aucun compte de la crise environnementale qui se profile à l’horizon mondial comme une météorite géante sur le point de percuter notre planète. Car celui qu’on a couronné est tout sauf catégorique sur l’urgence de stopper les émissions de gaz à effet de serre et de s’éloigner des hydrocarbures.
Qui sauvera les terres agricoles de la vallée du Saint-Laurent et notre précieux fleuve du viol pétrolier qui se fait présentement au nom d’une richesse faussement collective? Est-ce que ces artistes savent que des pétroliers géants qui n’ont pas été conçus pour la navigation fluviale viennent, malgré l’opposition des municipalités et des citoyens, vidanger leur eau de ballast en amont du lac Saint-Pierre pour aller charger des millions de barils de bitume dilué hautement explosif destiné à l’exportation? Est-ce que ces artistes savent que leur prince ne s’oppose pas au sacrifice des rivières et des sources d’eau potable et à la spoliation d’un territoire emblématique, Anticosti, au bénéfice d’une industrie pour laquelle on a créé une réglementation sur mesure afin d’étendre son droit de polluer? Est-ce que le défenseur de la culture québécoise s’est exprimé au sujet de la fracturation hydraulique à Gaspé tout près d’un quartier résidentiel? Est-ce qu’il a ouvert la bouche à propos de la poursuite abusive de la compagnie gazière Gastem envers la municipalité de Ristigouche? Est-ce qu’il a critiqué la construction à Bécancour d’une usine de liquéfaction de gaz qui permettra de valoriser l’industrie hyper polluante du gaz de schiste de nos voisins américains, et peut-être de justifier le développement de cette aberration au Québec? Est-ce qu’il s’est opposé à l’usine de ciment de Port-Daniel qui viendra incinérer au Québec du coke de pétrole des sables bitumineux? Les artistes signataires de la lettre savent-ils que le budget carbone permettant d’éviter un réchauffement global supérieur à 2° Celsius sera épuisé en 2017? Est-ce que ces artistes savent que le dégazage du méthane du pergélisol est bien amorcé et que le plancton et les poissons meurent déjà massivement à cause de l’acidification de l’eau et du manque d’oxygène?
Nos artistes sont certainement conscients que le Québec peut se doter d’un projet industriel capable de nous sortir rapidement de notre dépendance au pétrole en plus de créer des dizaines de milliers d’emplois. Ils pourraient, comme leur confrère Dominic Champagne, porter leurs regards au-delà de la sphère immédiate de leurs intérêts personnels pour viser le bien commun. Ils pourraient profiter de leur notoriété pour exiger de leur champion et de tous les autres qu’ils agissent de façon responsable en mettant tout en œuvre pour réaliser la transition énergétique avant que l’irréparable ne soit atteint. Car comme le soulignait récemment l’ambassadeur français au Canada, M. Nicolas Chapuis : « Il ne sert à rien de parler économie, business, culture, francophonie, Québec, Montréal, Canada si on n’a plus de planète! »
Louise Morand- L’Assomption