Si l'objectif était de clarifier la position de l’UPA sur l’accaparement des terres et de fermer la parenthèse chinoise, ouverte par la polémique sur des promesses de vente de terres à des Chinois voilà deux semaines, la visite de Marcel Groleau au Témiscamingue le 10 février aura aussi contribué à raviver de vieilles blessures. Selon plusieurs producteurs, la crise qu’a entraînée la réforme de l’ASRA au début des années 2010, qui a anéanti 30 % des producteurs d’agneau, veau d’embouche et porc, dans les régions du Québec, serait en partie responsable du phénomène croissant de l’accaparement.
Une quinzaine d’élus municipaux, de représentants du Centre local d’emploi, du Centre de formation professionnelle, du développement économique ont d’abord rencontré M. Groleau qui était accompagné du président régional de l’UPA, Sylvain Vachon et du président local, Sylvain Baril. Les poignées de mains et les sourires satisfaits échangés au terme de cette rencontre semblaient indiquer que celle-ci avait été productive.
«Ça nous a permis de remettre le débat à plat, a déclaré le préfet Arnaud Warolin. Maintenant la porte est ouverte à la collaboration entre les différentes instances.» Il a été si enthousiasmé par cette rencontre qu’il entrevoit déjà la possibilité de mettre sur pied un projet pilote où un fonds d’investissement permettrait de réserver des terres pour aider à la relève agricole. Les deux dernières semaines avaient été fort riches en rebondissements pour le politicien élu au suffrage universel. Mis au fait des promesses de ventes conclues entre quatre producteurs témiscamiens et des Chinois, il avait d’abord affirmé à la radio locale avoir contacté le cabinet du ministre Paradis pour sommer ce dernier d’intervenir. Il s’est par la suite rendu à Montréal où il dit avoir été rassuré à la suite d’une rencontre avec M. Yang.
Non aux fonds d’investissements étrangers
Même si l’expression «acheteurs chinois» a permis de tirer l’alarme dans la population pendant près de deux semaines, elle a soudainement fait place à «fonds d’investissement étrangers». «Ce que nous prônons, c’est que ceux qui achètent, habitent les territoires, a rappelé Marcel Groleau. Nous n’avons rien contre les acheteurs, quelle que soit leur origine, ni contre ceux qui vendent. Nous demeurons simplement prudents afin d’éviter que ce soit des fonds d’investissement qui s’approprient les terres et qu’ils ne les cultivent pas.»
Des représentations devraient d’ailleurs être amorcées auprès des acheteurs chinois afin de vérifier leur intérêt à établir des partenariats avec les producteurs locaux. «Nous pouvons même leur proposer des modèles d’affaires, a indiqué M. Groleau. Celui de Bonduelle qui congèle les légumes sans être propriétaire des terres pourrait s’appliquer.»
Des avis partagés
Parmi les 46 producteurs présents à la salle communautaire de St-Bruno-de-Guigues en après-midi, plusieurs en ont profité pour faire savoir leur façon de penser sur le rôle de l’UPA et les difficultés éprouvées pendant la crise de l’ASRA début 2010. Lorsque le président Groleau a parlé des représentations à venir auprès du gouvernement pour un revenu garanti dans la production agricole et la mise en place d’un moratoire de trois ans limitant à 100 hectares par année l’achat de terre par des gens qui ne font pas partie de la relève des réactions ont été tranchées.
«Si le gouvernement ne vous a pas entendu pendant que nous étions en train de tout perdre, pourquoi il vous écouterait aujourd’hui», a riposté Martin Forget de Fugèreville. Michel Duclos, de Latulipe, un fervent opposant au monopole de l’UPA, en avait aussi gros sur le cœur. Lorsque M. Groleau a évoqué des recommandations de différents rapports sur les politiques à adopter, dont l’abolition de l’ASRA, il a répliqué : «Ces rapports recommandaient aussi d’abolir le monopole de l’UPA.» M. Duclos a également reproché au président de l’UPA d’être le seul syndicat à ne pas défendre les intérêts de ses membres lorsque ceux-ci veulent vendre un bien qui leur appartient.
Sandra Roy, une jeune productrice de lait est âgée de 32 ans, a pris la relève de la ferme familiale à Moffet il y a six ans. Elle voit d’un œil très favorable les représentations de l’UPA pour sauvegarder le patrimoine agricole. Elle se dit même plutôt rassurée par cette position. «Il faudrait refuser de vendre nos terres comme ça à des gens de l’extérieur, a-t-elle soutenu. Nous n’avons plus d’enfants dans nos écoles, nous perdons des services. Bientôt, ce sera des régions vides, plus habitées où on ne fera qu’exploiter les terres.»
Au terme de ces trois rencontres, Sylvain Baril, président local de l’UPA s’est dit enchanté. «Ça a été un bel exercice d’information, a-t-il convenu. Cela nous a permis de remettre les pendules à l’heure et de valider avec la MRC et autres intervenants que nous avions une vision commune du développement du territoire.»