Un constat de détresse grandissante chez les agriculteurs !

Plusieurs vous le diront, la problématique est connue depuis plusieurs années, et ne cesse de s’aggraver ! Alors que les agriculteurs du Québec font face à de plus en plus de difficultés financières, de manque de relève et d’une mauvaise reconnaissance sociale, la détresse psychologique se fait sentir. Les suicides et les divorces augmentent; le taux d’isolement et de célibat s’accroît. Plusieurs facteurs viennent influer sur la situation. Les agriculteurs et agricultrices étant au centre de la production agricole, faire un état des lieux de la situation sociale actuelle apporte une lumière sur la condition de l’ensemble du monde agricole.

Détresse psychologique : état des lieux

Au Québec, les statistiques démontrent que les plus hauts taux de suicide sont recensés dans les régions rurales. Le niveau de détresse psychologique est également plus élevé en milieu rural et chez les entrepreneurs. Les agriculteurs sont donc les plus à risque en matière de suicide et de détresse psychologique.

Dans sa thèse de doctorat en service social, Philippe Roy s’est intéressé au stress chez les agriculteurs et à leur adaptation aux problématiques de santé mentale. Concernant le suicide, le doctorant croit que les problèmes financiers et de travail, les nombreux facteurs de stress, l’accès aisé à des moyens létaux et l’isolement seraient des facteurs pouvant expliquer ces taux élevés.

La détresse psychologique est une problématique touchant toutes les classes d’âges, tous les types de productions et toutes les grosseurs d’entreprises.

«Moi je me sens comme si ma terre avait une main sur moi et que je ne pouvais pas partir. Et je vis très bien avec ça. Mais il y a des producteurs qui vont se suicider avant de déclarer faillite.» – un petit producteur de Chaudière-Appalaches.

Après 18 ans d'accompagnement auprès des travailleurs en milieu agricole, Pierrette Desrosiers , psychologue du travail dans le milieu agricole au Canada observe une augmentation flagrante de détresse psychologique dans le milieu. Selon elle, un agriculteur sur deux souffre de détresse psychologique au Québec.

Surcharge de travail

La Coop fédérée confirme que la situation économique instable et défavorable est identifiée comme le principal facteur responsable du stress lié à l'agriculture.

Avec l’augmentation de l’importation d’aliments et l’augmentation des coûts d’exploitations, les agriculteurs du Québec ont de plus en plus de difficultés à survivre. Les agriculteurs doivent être de plus en plus solides pour faire face aux multiples exigences et parer au risque d’endettement.

Les divergences entre les chiffres d’affaires des entreprises se font également ressentir; les difficultés financières des petites entreprises augmentent.

L’opinion du public : dur sur le moral

Souvent considéré comme pollueur ou responsable de cruauté animale, le métier d’agriculteur est aujourd’hui dévalorisé.

Dans le milieu, les agriculteurs déplorent ce manque de reconnaissance, alors que l’estime du métier est très basse.

Selon Andrée Demers, professeure au département de sociologie de l’Université de Montréal, sur le plan de la communauté, la notion de solidarité rurale compense parfois difficilement le manque de reconnaissance sociale et l’amenuisement des réseaux de soutien dont font état les producteurs.

Les agriculteurs constatent le mécontentement des citoyens lorsqu’ils circulent sur la voie publique en tracteur ou alors qu’ils font traverser  les animaux sur la route.  Selon les producteurs, la reconnaissance sociale minimale serait que les citoyens acceptent au moins qu’ils fassent leur travail.

Un producteur laitier de Sainte-Marguerite témoigne d’un moment où le soutien et l’encouragement lui ont manqué dans son parcours : «En 81, quand je suis parti de la polyvalente, je me suis fait dire par un professeur : ?Pourquoi tu t’en vas en agriculture? Tu serais capable de faire tellement mieux. ?»

La Coop fédérée souligne que puisqu’une personne tire une grande part de sa valorisation et de son estime de soi de son travail, il serait important de porter attention à la reconnaissance de la contribution des agriculteurs à la société. 

Le choc des générations crée des tensions

Les agriculteurs comptent souvent sur l’aide de la relève alors qu’elle n’est  pas nécessairement acquise de nos jours.

Auparavant, il était presque admis qu’un enfant reprendrait la ferme familiale quand le temps serait venu. Aujourd’hui, non seulement beaucoup de jeunes quittent la ferme, mais la relève est aussi très difficile à trouver.

Des agriculteurs investissent parfois des millions dans des structures pour la relève, mais il n’y a aucune garantie que les jeunes choisiront de travailler à la ferme. Pierrette Desrosiers, psychologue du travail dans le milieu agricole, explique que le manque de relève peut être dû à l’augmentation de l’éducation chez les jeunes.

La psychologue constate que les jeunes ont maintenant davantage d’opportunités quant à leur choix de carrière et donc, plus d’exigences face à leur condition de vie. Alors que les baby-boomers valorisaient «le travail avant tout», les jeunes agriculteurs veulent, en moyenne, davantage profiter de la vie ainsi que concilier le travail et la famille.

Mme Desrosiers intervient également dans plusieurs cas de situations conflictuelles dues aux différences entre les générations ou tout simplement aux malentendus entre les membres des familles.

Reprendre la ferme familiale représente une cohabitation avec les parents ou les beaux-parents pour des années.  La psychologue confirme qu’apprendre à travailler ensemble est un enjeu majeur au sein des familles et demande un très haut niveau de compétences émotionnelles et communicationnelles.

Léguer à ses enfants : un cadeau empoisonné?

La Coop fédérée a recueilli les témoignages de plusieurs agriculteurs manifestant des inquiétudes quant au lègue de la ferme à leurs enfants. Selon les constats de la Coop, les producteurs sont assez pessimistes concernant l’avenir de leur relève : plusieurs productions sont en difficultés.

Les agriculteurs ne veulent pas « refiler pas cher l’entreprise pour que ce soit accessible aux enfants» par crainte de placer les parents ainsi que les enfants en difficulté financière.

Ils redoutent de s’endetter pour permettre à la relève de reprendre l’entreprise. Financièrement, certains petits producteurs ne peuvent pas emprunter suffisamment pour ce que la ferme peut générer comme revenus.

Haut taux de divorce : conséquence d’un métier sous pression

Alors que le taux de divorce au Québec est près des 50%, il y aurait davantage d’agriculteurs et agricultrices qui mettraient fin à leur mariage.

Dans le milieu de l’agriculture, les travailleurs sont soumis à des facteurs de stress particulièrement élevés. Les conditions du métier additionnées aux idéaux de notre époque contribuent à faire augmenter le taux de divorce dans le milieu.

Selon la psychologue Pierrette Desrosiers, il y a maintenant davantage de divorces, mais ce n’est pas dû à l’augmentation du travail. Les femmes n’ont plus les mêmes attentes et la vie d’agriculteur serait loin de l’idéal de la société : «La génération  actuelle des jeunes adultes a davantage de difficulté à s’autoréguler, donc à gérer ses émotions. Dans un couple, les individus ont alors plus de difficulté à passer à travers les insatisfactions.»

Le stress, les horaires de travail chargés et les difficultés économiques sont des facteurs aggravants. Les conséquences du divorce chez les agriculteurs varient en fonction des capitaux économiques, culturels et sociaux des couples.

Conséquences d’un divorce

Lors de divorce, les capitaux d’une entreprise sont séparés de manière égale entre les anciens époux. Par contre, bien souvent, un des deux individus rachète la moitié de l’entreprise à celui qui part afin de garder l’exploitation. De cela découlent couramment des difficultés financières plongeant l’entreprise dans l’endettement.

Pierrette Desrosiers témoigne que les hommes sont beaucoup plus fragiles psychologiquement suite au départ d’une conjointe. Plusieurs tâches de l’entreprise reposaient sur les femmes : faire la comptabilité, s’occuper des enfants, faire la logistique, etc.. Les hommes risquent alors d’être plus démunis et plus à risque de dépression.

Célibat chez les jeunes agriculteurs

Le célibat est élevé chez les jeunes agriculteurs. La psychologue du travail dans le milieu agricole explique qu’aujourd’hui, le rythme de vie de la ferme n’est plus ce que recherchent les jeunes femmes.

 «Quand tu t’en vas veiller dans un bar à Québec et que tu dis que tu as une ferme laitière, la fille va aux toilettes et elle ne revient pas» – Témoignage d'un jeune agriculteur recueilli par Pierrette Desrosiers

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