Je travaille dans les médias depuis plus de 35 ans. Ça fait longtemps que je me suis faite au dédain des rédacteurs en chef de média de masse et à leur refus systématique de traiter des enjeux de l’agriculture, de l’environnement, de la mondialisation. Pour eux, c’était de la nouvelle soit secondaire, soit trop spécialisée pour intéresser le lecteur moyen. Le peuple ne s’intéresse pas à ces affaires-là.
Or, les questions agricoles, environnementales et de mondialisation se sont fortement imposées depuis 15 ans, et veut, veut pas, il a bien fallu les traiter. Mais le problème demeure. Les salles de presse connaissent mal ces secteurs et les médias regardent souvent les rares journalistes qui s’y intéressent comme des collègues qui ont un parti pris, qui peuvent difficilement prendre une distance avec leur sujet.
Comme je vous le disais, on s’y fait.
Par contre, les conséquences de ces préjugés sont majeurs : trop de médias de masse ne savent pas traiter de ces sujets fondamentaux pour notre avenir à tous. Fondamentaux car nous mangeons trois fois par jour, car l’agriculture est plus qu’une question économique. C’est aussi une affaire d’occupation du territoire, de vitalité des communautés, de santé tant physique que psychologique. C’est notre lien le plus proche avec la nature et sa biodiversité. Et j’en passe…
C’est ainsi qu’on a assisté, avec la réticence de la Wallonie face au traité de libre-échange Canada-Europe, a une série de commentaires et d’analyses superficielles. Pire, à l’incapacité des médias de se montrer un véritable chien de garde de l’intérêt public, face aux propos des Jean Charest, Pierre-Marc Johnson, Pierre Pettigrew et de la ministre fédérale du Commerce international, Chrystia Freeland.
S’il n’y avait pas eu la bourde des Douanes et Assises Canada face à José Bové, personne n’aurait su qu’il venait assister à une soirée questionnant l’Accord économique et commercial global, connu sous son acronyme anglophone CETA. Ce genre de rencontre n’intéresse pas les médias. Dans les salles de rédaction, le réflexe est toujours le même : ce sont des militants gauchistes, des environnementalistes, pro-ci, anti-cà, qui ne peuvent que vouloir porter au bûcher une entente commerciale, négociée entre experts internationaux, qui nous répètent ad nauseam, que nous y gagneront tous .
Ah oui ? Comment le juger correctement alors que tout se discute derrière des portes de bureaux d’avocats prestigieux qui pratiquent la culture du secret.
Il fallait voir d’ailleurs comment les médias se sont lancés sur Bové pour comprendre toute leur incurie face à ces enjeux.
Bové a eu la vie facile. Des journalistes, animateurs, commentateurs lui ont présenté un micro en or pour passer ses messages, sans qu’il il doive approfondir sa pensée. On a assisté à du spectacle.
J’ai fait la même observation du côté des experts. Le président wallon Paul Magnette parlait de lèse-démocratie, de justice publique menacée, de déni des lois et règlementations en matière de normes sociales et environnementales. On le laissait présenter son baratin, sans aucune question de précision. Au nom de l’équilibre des opinions, ces mêmes médias trouvaient un expert quelconque du domaine agricole ou du commerce international qui vendait son propre boniment, toujours sans question pertinente pour s’assurer que nous n’avions pas affaire à un lobbyiste d’une filière quelconque.
On a rendu compte des déplacements, des émotions de la ministre, on nous a passé les mêmes cassettes canadiennes, mais pas d’explications sur les sources profondes du désaccord.
Quelle misère !
Et maintenant que la Wallonie s’est rangée, on n’y reviendra pas. Sauf pour traiter de la colère d’un fromager poussé à la faillite. Des experts nous expliqueront qu’ainsi va le commerce international. Il y a des gagnants et des perdants.
Sauf que les perdants, c’est nous tous.