Et si Garon pouvait encore parler ?

Le célèbre ministre de l’Agriculture du Québec, Jean Garon, dont un tout  nouvel institut porte maintenant  son nom, aurait  probablement aimé parler des soupçons de corruption dans le monde agricole, lui qui n’avait pas la langue de bois. Mais à bien y penser, il l’a déjà un peu fait. Il suffit de se référer à ses mémoires : Pour tout vous dire, publiées en 2013 en coédition par VLB Éditeur et La Vie agricole.

Il disait alors : «Dans un domaine qui m’est très proche, j’aimerais tant que la commission Charbonneau aille voir à quel point les libéraux, à force de reculs et de compromissions, ont réussi à transformer deux des piliers de l’agriculture, la stabilisation des revenus agricoles et la protection du territoire agricole, en une vache à lait pour leur caisse électorale. Après tout, les avocats spécialisés en « dézonage », les promoteurs, les firmes d’ingénieurs et les entrepreneurs en construction forment une famille soudée, surtout autour de Montréal et notamment à Laval. Mais la commission aura-t-elle le temps, le courage et le mandat de se pencher là-dessus ?»

Il écrivait alors : « L’édifice de la corruption qu’ont érigé les gouvernements unionistes et libéraux successifs commence à vaciller, et il faut dire merci à quelques journalistes, aux étudiants et aux indignés de même qu’aux partis d’opposition qui ont forcé la création de la Commission Charbonneau. Mais est-ce que ce sera assez pour faire s’écrouler ce système malsain ? (…) L’exemple de la Financière agricole illustre la capacité qu’ont  eue les libéraux de pourrir les institutions québécoises. Jean Charest avait les mains liées par les intégrateurs, tout comme Robert Bourassa. L’État a pompé des millions dans l’intégration par l’intermédiaire de la Financière agricole. C’est peut-être un plus gros scandale encore que celui des grands travaux routiers, mais il est plus opaque et difficile à expliquer simplement à la population.

À mon arrivée à l’Agriculture à la fin de 1976, il était de notoriété publique que la magouille existait depuis longtemps dans ce vieux ministère (…) Les personnes en place (…) défendaient bec et ongles les programmes existants, surtout les travaux mécanisés, le drainage souterrain et le creusage des cours d’eau municipaux. Il ne fallait toucher à rien, sans quoi les méchants agriculteurs abuseraient de nous et auraient tôt fait de vider la caisse. Cela m’a pris un peu de temps, mais j’ai fini par voir clair dans leur  jeu. La caisse au cœur de l’affaire n’était pas celle du ministère, mais bien la caisse électorale du Parti libéral et il n’était pas question de la vider, bien au contraire !

Casser le système

« J’étais déterminé à mettre la hache là-dedans. Pour le drainage, j’ai d’abord fait la même chose que pour les travaux mécanisés, c’est-à-dire redonner à l’agriculteur le choix de la firme chargée de réaliser son plan de drainage, quitte à ce qu’il paie une partie des travaux. (…) C’était conforme à l’engagement solennel pris par notre gouvernement de considérer l’agriculteur comme un chef d’entreprise capable de prendre lui-même les décisions qui le concernent, sans qu’on ait a le prendre par la main. (…) C’est alors qu’est entré en scène un homme remarquable, Jean-Guy Charbonneau, le directeur du bureau régional de Châteauguay. Dans cette région de terres noires, les meilleures pour l’horticulture, le drainage souterrain et l’amélioration des cours d’eau étaient essentiels. Monsieur Charbonneau avait été aux  premières loges pour observer le système des firmes d’ingénieurs “ spécialisées“ et des appels d’offres bidon pour le creusage des cours d’eau. Il en était profondément dégoûté. ( …) Je lui ai donné le mandat clair de réaliser l’intégration de la direction générale du Génie à celle des Bureaux et laboratoires régionaux à temps pour l’été 1978, année où nous voulions atteindre l’objectif de 100 millions de pieds de drains posés sur les fermes du Québec (…)  Un vendredi de mars 1978, le sous-ministre Charbonneau et son adjoint m’ont  assuré que tout était prêt, et j’ai appuyé sur le bouton. Les lettres d’affectation à leur nouveau poste ont été livrées le lundi matin aux personnes visées par la réforme, essentiellement des techniciens et du personnel de soutien. Les locaux excédentaires libérés par les fonctionnaires mutés ont été remis au ministère des Travaux publics. Cela a été la consternation, les cris, mais pas un seul grief n’a pu être levé. Nous avions respecté les règles en tout point. (…) Je crois qu’à part quelques irréductibles sans doute plus compromis que les autres, ces gens ont été heureux du changement. Une personne normale avec un minimum d’éthique ne peut pas être à l’aise dans un système corrompu.

 

Crédit Photo : La Presse

NDLR : Tout récemment un producteur du Témiscamingue, Sylvain Denommé, a eu l’idée de créer un logo qu’il a fait circuler sur Facebook pour demander un comité anti-corruption à l’UPA. Nous suivrons le cheminement de cette idée pour voir si elle est validée au final par le syndicat central.

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