On aime dire que notre société s’occupe des exclus. Mais elle a ses exclus de prédilection. Ses exclus préférés. Ceux qui ont la chance d’avoir l’attention des journalistes qui, sans jamais avoir l’impression de renier leur objectivité, reprendront leurs revendications au point même d’en faire la promotion. Ce sont généralement les minorités identitaires qui se plaignent de discriminations. On leur consacrera un reportage après l’autre. On pleurera leur misère, on chantera leurs luttes. Ces exclus-là ont la cote. Quiconque osera une ou deux questions embêtantes à leur sujet risque sa réputation. On comprend bien qu’ils méritent notre intérêt et on leur accordera de bon cœur. Mais le système médiatique ne voit que ces exclus, au point, quelquefois, de confisquer l’actualité à leur avantage.
Car il y a d’autres exclus. Mais ils ne cadrent pas avec les valeurs du système médiatique. On ne peut pas les transformer en représentants d’un avenir radieux, égalitaire, merveilleux diversitaire. Alors ces exclus-là, on les snobe, on les regarde de haut, on les méprise. On dit qu’ils sentent mauvais. Qu’ils ont probablement de mauvais sentiments. On ne veut pas les voir. On ne veut pas les entendre. On veut encore moins leur parler. Ce sont les ouvriers déclassés, les régionaux abandonnés, les agriculteurs à l’ancienne, les pères de famille divorcés, les mères célibataires désargentées. Ce sont les banlieusards condamnés à la congestion automobile matinale pour gagner leur pain. Ce sont les retraités qui envisagent leurs vieux jours dans l’indigence.
Je pourrais rajouter bien des catégories. Ces exclus ne se ressemblent pas tous. Ils n’ont pas tous les mêmes intérêts. Mais chacune de ces catégories se sent à l’écart du monde qui se construit. Et de temps en temps, ces gens veulent protester. Du moins, certains d’entre eux le veulent. Ils ne savent pas trop comment. Ils se cherchent un porte-parole sans jamais vraiment le trouver. C’est presque normal. Il n’est jamais bon d’être du mauvais côté de l’histoire. Alors quand un homme se lève, s’il a un peu de gueule et d’aplomb, on est prêt à lui pardonner ses défauts, se mauvaises manières et ses outrances langagières. On ne lui donne pas le bon Dieu sans confession. Mais on veut bien faire un bout de chemin avec lui. La révolte populaire prend les trains qu’elle peut. Il n’en passe vraiment pas souvent.
Vous l’aurez compris, je veux vous parler ici du phénomène Rambo Gauthier. Non pas pour l’encenser. Encore moins pour vous dire de voter pour lui. Mais simplement pour comprendre ce qu’il représente sans commencer par lui vomir dessus. Rambo se présente, et il n’a pas complètement tort, comme le représentant des exclus invisibles de notre société. Plus particulièrement, il dit représenter les exclus des régions. Il leur donne une voix. Un visage. Des mots. Évidemment, cette parole politique est contre-productive. Elle divise le vote nationaliste. Elle favorise conséquemment le maintien au pouvoir des libéraux. Elle enfermera les exclus dans un vote stérile, protestataire, et finalement, stérile. Mais elle leur donne l’impression d’exister. Elle les sort de l’anonymat. Nos politiciens devraient peut-être chercher à les comprendre. Non?
Crédit-Photo: La Pravda