Trop souvent, on se représente le Québec de manière assez simpliste. D’un côté, Montréal, la métropole, moderne, multiculturelle, ouverte sur le monde. De l’autre, Québec, la capitale, conservatrice, homogène, massivement francophone. Ailleurs, «les régions», terme exagérément imprécis qui rassemble sous une même catégorie les campagnes d’Estrie, les petites et moyennes villes industrielles de province, le Saguenay, la Gaspésie, le Suroît et ainsi de suite. Autrement dit, on écrase la complexité de la société québécoise dans un terme, «les régions», qui veut tout simplement dire qu’on ne parle ni de Montréal, ni de Québec. C’est une définition par la négative.
On nous dira peut-être que cette description, malgré ses limites, correspond à une part de la réalité. Il y avait autrefois une diversité de petites et moyennes villes particulièrement vigoureuses, qui avaient chacune leur presse, leur dynamique politique, leur vie culturelle. Mais nous sommes dans un monde de plus en plus dominé par les métropoles, qui réclament pour elles le monopole de la modernité. Ce sont elles qui sont appelées à peser dans la mondialisation. Pour le reste, on parle de l’arrière-pays. Christophe Guilluy, en France, distingue ainsi la France des métropoles et la France périphérique. On pourrait utiliser cette distinction chez nous.
Nos gouvernements, de temps en temps, se donnent pour mission de revitaliser les régions, pour empêcher que Montréal et Québec ne siphonnent leur jeunesse et leurs éléments les plus dynamiques. C’est une tâche vitale. Car un pays qui n’est plus habité et qu’on abandonne n’est plus un pays, mais un désert, une zone condamnée à la désolation. La chose est encore pire quand on parle d’un grand pays comme le Québec. Si les régions, un jour, ne parviennent plus qu’à vivoter, le Québec lui-même sera mentalement et physiquement dévasté. Que resterait-il d’un pays qui ne connaîtrait plus qu’en souvenir les légendes et les chants d’un Gilles Vigneault?
J’ai souvent la chance de me promener dans ce Québec «hors circuit», celui des petites villes et des villages. Celui des régions, autrement dit. J’y multiplie les conférences. Ce qui m’y frappe, chaque fois, c’est l’enracinement de ceux qui y vivent. Ils appartiennent à leur coin du monde et ne veulent pas le quitter. La vie communautaire y est assez vive. Il y a comme une fierté locale qui témoigne d’un fort attachement à son coin du monde. Guillaume Rousseau, dans son livre L’État-nation face aux régions, a bien montré que le sentiment national s’enracine souvent dans une petite patrie locale.
Dans son beau livre Sur les chemins noirs, Sylvain Tesson, l’écrivain aventurier, s’est mis à marcher sur les routes presque oubliées de son pays, la France. Il l’a redécouvert ainsi loin des circuits officiels, loin des cartes postales, loin des images convenues. Il a redécouvert son pays dans sa profondeur historique. Non pas un pays nécessairement pittoresque, mais un pays qui mérite de vivre. On pourrait faire la même chose au Québec. Il se pourrait bien que loin des clichés toujours répétés, ce pays nous passionne aussi.